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NANTES.

quelles on devait satisfaire : des vieillards, des enfans et des insensés !

Cette nouvelle difficulté n’effraya point les architectes : aux vieillards, ils donnèrent les salles chaudes et abritées, les cours sablées, les galeries dorées par le soleil de midi ; aux enfans, les chambres aérées, le préau libre et les petits jardins garnis de buis ; aux aliénés, les dortoirs joyeux, la verdure, les fleurs et la Loire à l’horizon. Puis, comme toutes ces natures étaient délicates, impressionnables, faciles à la tristesse ou au dégoût, ils éloignèrent du regard ce qui pouvait réveiller une sensation pénible ou exciter une répugnance ; ils reléguèrent dans la partie souterraine tout ce qui rappelait l’hospice, et cette fabrication alimentaire des vastes établissemens qui, faite sur une trop grande échelle, prend toujours un aspect repoussant. Ainsi rien ne fut présenté aux hôtes du nouveau Sanitat que sous la forme la plus attrayante, et le matériel grossier de la vie resta voilé pour eux.

Enfin le jour d’ouvrir aux pauvres leur nouvelle demeure arriva. On y transporta d’abord les enfans, orphelins tachés du péché originel de la misère ou de la bâtardise, puis les malheureux qui, après avoir usé leurs corps à la peine pendant quarante ans, viennent humblement demander à la société quelques années de vie en aumône. Au premier moment, ce fut pour tous une surprise muette ; bientôt à la surprise succéda la curiosité, à la curiosité la joie. Ils parcouraient les cours et les portiques, admirant tout, touchant à tout, rians et enivrés comme des gens qui ont fait une fortune inattendue. Puis, après le premier éblouissement, ce fut à qui prendrait le plus vite possession de la nouvelle demeure. Chacun cherchait sa place ; les vieillards prenaient leurs habitudes, marquaient leurs bancs de repos, choisissaient leur rayon de soleil ; les enfans, émerveillés de voir des oiseaux passer sur leurs têtes, chantaient en se roulant sur l’herbe ou poursuivaient quelques papillons égarés au milieu des blanches colonnades.

Mais il restait à voir la scène la plus étrange : les aliénés n’étaient point encore arrivés.

Le nouveau médecin, M. Bouchet, alla les chercher en omnibus à l’ancien hospice. On les retira des loges, où la plupart étaient murés à demeure et exposés à toutes les intempéries des saisons.