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DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA BOURGEOISIE.

ce couvert uniforme, l’empreinte de son génie. Les uns ne laisseront au pouvoir que ce qu’ils ne pourront pas lui ôter sans tomber dans l’anarchie ; les autres ne lui reprendront que ce qu’ils devront se réserver pour être libres.

La France marche la première dans cette catégorie. Elle s’est fait d’un pouvoir fort une habitude séculaire ; et si elle est jalouse de le tenir constamment sous son contrôle, elle met peu de prix à le partager. La France ressemble fort à l’homme de bonne maison, qui préfère chasser son intendant lorsqu’il fait trop mal ses affaires, que de prendre la peine de les faire lui-même.

Révolutionnaire et apathique à la fois, entravant le pouvoir sans le prendre, le génie d’association lui manque, et rien n’annonce encore son réveil. Ce principe est pour elle une abstraction qu’on a fait disparaître de ses lois sans que le sentiment public s’en soit ému. C’est qu’en effet, sans parler des miracles de l’association morale, qui, en Amérique, déracine des vices et change des habitudes invétérées ; de ceux de l’association religieuse et politique, à laquelle l’Irlande doit sa délivrance ; en laissant de côté ces entreprises colossales, par lesquelles les États-Unis ont peuplé leur continent et les Anglais conquis les Indes, la France ne saurait citer un seul essai à mettre en parallèle même avec les entreprises les plus usuelles dans les Pays-Bas. Ses compagnies commerciales ont presque toujours été la risée du monde ; en ce genre, elle a presque toujours imité les autres, sans avoir jamais foi sérieuse dans ses efforts. Sur cette terre, où les idées se joignent si étroitement, il semble que les capitaux s’évitent. Sous ce rapport, la France n’est guère plus avancée qu’elle ne l’était il y a deux siècles ; et l’idée que l’initiative appartient au pouvoir en toute matière d’utilité publique, que nul intérêt privé ne saurait suppléer son action, n’a pas été le moins du monde ébranlée dans la nation par des théories demeurées jusqu’à présent sans applications pratiques.

Je suis fort disposé à admettre que c’est là un véritable malheur ; mais ce fait est d’un entêtement inexorable. En France, il faut consentir à faire beaucoup par le pouvoir, ou se résigner à faire fort peu de chose. Mon tempérament me fait, je le confesse, regretter de n’être pas, sur ce point, Américain, Anglais ou Belge ;