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pardonner ni l’immoralité des moyens, ni la barbare et stérile grandeur du but ; s’il est plus un gouvernement de sens qu’un gouvernement de génie, il ne lui viendra jamais en pensée de violer aucun des principes fondamentaux de la civilisation humaine.

Si l’unité de l’Europe devient jamais possible, ce sera durant cette ère mortelle aux vieilles nationalités, où les mœurs seront soumises à l’action des mêmes principes. La presse et la banque, ces machines à vapeur appliquées à l’intelligence et à la richesse, établiront une circulation d’idées et de capitaux tellement rapide, que ses conséquences politiques échappent à toutes les prévisions, ou plutôt les autorisent toutes. La patrie, qui, à des titres divers, est, pour les démocraties comme pour les patriciats, une unité vivante et sacrée, ne sera guère, aux yeux de la classe gouvernante, qu’une vaste agglomération d’intérêts. La terre elle-même perdra de plus en plus ce caractère patriarcal qu’elle a si long-temps revêtu, pour devenir un simple instrument de production, une sorte de valeur mobilière constamment échangeable.

Ceci conduira forcément à un système d’actions, déjà plus qu’une simple théorie, et qui semble seule pouvoir concilier l’extrême subdivision des fortunes avec les conditions de l’exploitation agricole. Nos neveux verront probablement coter aussi couramment en bourse les actions territoriales que les actions industrielles. Alors l’œuvre sera consommée, et la terre aura cessé d’avoir une voix pour parler au cœur de l’homme ; alors les souvenirs des temps passés ne sanctifieront plus ses demeures, et la famille deviendra pour lui le siége unique de ses joies, le centre de sa vie morale. La terrible bande noire qui se rue sur nos tourelles, et que nous poursuivons de nos imprécations, accomplit, je le crains, une œuvre providentielle ; elle nivelle le sol comme d’autres ont nivelé la société.

À cet égard, les habitudes subissent graduellement une révolution dont on n’a pas encore la conscience complète. Ce ne sont pas seulement les grandes existences qui sont frappées à mort parmi nous, ce sont encore toutes les existences de loisir. La propriété par elle-même ne suffira plus pour donner une position ; l’on devra, moins encore à raison de son exiguité que par suite de l’exigence des mœurs, y joindre une profession libérale, ou combiner