Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/662

Cette page a été validée par deux contributeurs.
656
REVUE DES DEUX MONDES.

fiant les mœurs aussi bien que les lois, et devenu un fait vulgaire admis par tous, au lieu d’être resté à l’état d’abstraction philosophique. Le gouvernement américain, c’est le peuple faisant lui-même ses affaires sans contrôle et sans résistance, dominant la représentation nationale par la fréquence des élections, l’étroite dépendance des électeurs et la théorie du mandat impératif ; c’est le peuple veillant avec une jalouse inquiétude à ce qu’aucune idée ne s’élève au-dessus du niveau commun. Si le gouvernement américain est représentatif dans ses formes, il est direct et populaire dans son esprit. Le mandataire élu pour de courtes périodes porte nécessairement dans les diverses législatures les idées, les préjugés et les passions de ceux aux mains desquels est commis chaque jour le soin de sa fortune politique. Il devrait affecter ces passions, s’il ne les partageait pas, car nulle part la tyrannie du grand nombre n’impose l’hypocrisie d’une manière plus impérieuse. Si cette censure est peu pénible aux États-Unis, c’est qu’il ne vient à personne ni l’audace, ni le désir de s’y dérober. Les mœurs revêtent sans effort une teinte uniforme, et l’inégalité des fortunes ne s’étend guère jusqu’aux intelligences ; encore cette inégalité même, la seule admise, la seule tolérée, se dérobe-t-elle sous des dehors qui la protègent et la dissimulent.

Si l’opulence permet aux États-Unis comme à l’Europe les recherches du luxe et de la vie comfortable, ce luxe, pour ainsi dire, intérieur et secret, comme celui des juifs au moyen-âge, secoué tel qu’un vêtement d’emprunt à l’entrée de la place publique, ne modifie pas les habitudes générales qui impriment à l’existence américaine une physionomie sévère et monotone. Le riche négociant, qui hier encore était pauvre et peut le redevenir demain, touche sans hésiter la main du mechanic, dont le vote décide, au même titre que le sien, des plus grands intérêts de l’état, et devant lequel il a moins à se prévaloir de sa richesse qu’à se la faire pardonner. En Amérique, la démocratie a les tavernes pour salons, les journaux pour organes exclusifs, les meetings religieux et politiques pour délassement et pour spectacle. Tout est inspiré ou modifié par elle.

La pensée publique y subit l’effet des institutions pour réagir sur elles à son tour. Ne se concentrant jamais dans des compositions originales et méditées, elle s’échappe en harangues fugitives,