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REVUE. — CHRONIQUE.

deux expéditions. On en demandera douze, et l’armée d’expédition de Tlemcen sera chargée d’opérer sur Constantine, quand elle aura accompli cette première mission.

Assurément, ce n’est pas là de quoi satisfaire à l’impatience de ceux qui voudraient voir notre gouvernement constitutionnel fonctionner à la manière de la république romaine ou de Napoléon, et décréter que les princes, grands ou petits, qui nous résistent, ont cessé de régner. Mais c’est là, au milieu de beaucoup d’avantages, l’inconvénient de la monarchie représentative, fondée sur l’influence de la classe moyenne. On n’a pas affaire, comme à Rome, à des patriciens qui se plaçaient facilement au-dessus des considérations matérielles et des questions d’argent, quand il s’agissait, même sans nécessité extrême, d’élever encore la gloire de la nation ; on n’a pas non plus affaire au peuple, au véritable peuple d’en bas, si facile à enflammer et à conquérir par l’éclat d’une épée ou par de brillantes images de guerre. Ici il faut parler à des bourgeois qui pèsent la valeur de la gloire, et mettent dans la balance, pour contrepoids, le fardeau, toujours croissant, du budget. Il paraît donc que le ministère ne demandait pas mieux que de nous donner de la gloire pour notre argent ; mais que la chambre, pressentie là-dessus, a répondu comme l’avare, et demande à faire grande chère à peu de frais. L’armée d’Afrique fera donc l’office de maître Jacques, l’homme aux deux fonctions ; quand elle aura battu encore une fois Abd-el-Kader, elle ira faire le siége de Constantine. Nous ne croyons pas qu’il en résultera une économie pour le trésor ; mais la chambre est ainsi faite : elle n’aime pas ouvrir les deux mains à la fois !

Une considération d’un ordre plus élevé ou plus matérielle encore, si l’on veut, a pu déterminer le ministère à ne pas insister auprès de la chambre sur le vote d’un crédit pour les deux expéditions ; c’est que l’armée est loin d’être au complet, et en état de fournir, sans inconvénient, le nombre de soldats nécessaire. L’économie, qui prévaut ici trop, là trop peu, a fait admettre un système de congés qui a vidé les cadres. On a peine à croire que ce soit seulement à l’occasion du projet d’expédition de Constantine qu’on se soit aperçu de cette insuffisance de troupes, et de l’embarras où l’on se trouverait si on dégarnissait le pays de quarante mille hommes ! Il en est ainsi cependant, et ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement représentatif s’est laissé aller à un tel excès d’imprévoyance. L’amirauté anglaise, fière de la prépondérance de l’Angleterre, et s’endormant dans sa vieille gloire maritime, comme nous sous nos antiques lauriers de l’empire, avait tellement laissé dépérir la marine depuis quinze ans, qu’on s’aperçut un beau jour que l’Angleterre avait à peine une flotte capable de protéger le quart de sa marine marchande. La crainte du parlement, qu’on avait intérêt à ménager, avait été, en partie, cause de cet abandon de soi-même. Il fallait des crédits, et d’immenses crédits ; ce fut alors que la presse ministérielle commença à effrayer le pays et à parler des empiétemens de la Russie dans l’Inde. La Russie se disposait, disait-on, à gagner la province de Kaboul, et à attaquer l’Angleterre dans ses propres mers. Il fallut bien voter des crédits pour l’augmentation de la flotte, et l’amirauté répara ainsi ses négligences de quinze ans. Mais cet