sans lutter à la rage qui le possède aujourd’hui. Plusieurs poèmes de son livre attestent qu’il a résisté le plus qu’il a pu. Nous inclinons même à croire que c’est l’excès d’un sentiment honorable qui l’a précipité dans l’état de frénésie où il est. Il a longuement étudié les hommes, et le spectacle de leurs vices l’a révolté. Ce qui l’a surtout indigné, dans notre société pervertie, c’est le dédain de l’autorité paternelle. Chose monstrueuse ! il a vu :
Des salons où le fils rit de la toux du père.
S’il avait au moins espéré du temps la guérison de cette gangrène morale, il eût patienté peut-être ; mais il n’a rien attendu de l’avenir :
Le présent est hideux, l’avenir plus obscène.
Dès-lors a commencé chez l’auteur la confusion des idées. Il a cessé d’apercevoir les limites du bien et du mal. La fièvre le saisit. Le sang lui monte au cerveau. Vous voyez poindre ses premiers symptômes de fureur. D’affreuses images lui apparaissent. Quel est ce bruit nocturne qu’il entend ? N’est-ce point :
Ou le râle sourd du vampire ?
............
Ou l’aigre sifflement du goule
Dévorant la chair des tombeaux ?
............
Enfin n’est-ce pas l’ogre avide
Qui, dans ses désirs déguisés,
Poursuit d’une course rapide
Une virginale sylphide
Pour la dévorer de baisers ?
Toutes les pièces qui suivent marquent bien que l’auteur torturé d’Il Tormento a long-temps combattu d’horribles velléités. Ce n’est pas de prime-abord qu’il a pris goût à la chair humaine. Combien de fois n’a-t-il pas déploré la dure condition que la vie lui a faite ! Lassé de n’avoir pour pain que la douleur et l’amertume pour breuvage, il a demandé à Dieu, par grace, une autre nourriture. Il a imploré à genoux une goutte de miel. N’ayant rien obtenu, enfin il a perdu patience :
Non ! c’est assez manger le pain avec la cendre.
Assez boire l’absynthe !
On comprend que le poète s’est décidé. Si l’on se rappelle ce qu’il a dit de l’ogre qui dévore la sylphide de baisers, on ne lit pas sans effroi ses vers à Marie sa bien-aimée :
Quand je te vois raser frémissante et rapide
Le parquet des salons, je dévore des yeux
Et ta taille d’abeille et ton pied gracieux.