Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/635

Cette page a été validée par deux contributeurs.
631
REVUE LITTÉRAIRE.

sont le résultat des loisirs d’une jeune personne de vingt ans, née au village. Marceline Desbordes, dit Mme la marquise de R***, composa ses premiers vers dans un songe heureux ; elle les écrivit à son réveil et les soumit au jugement d’un homme de lettres, qui décida que c’était une élégie. Mme la marquise de R*** n’a, nous l’imaginons, cité cette anecdote qu’afin de montrer combien la vocation de Mlle Élise Moreau a été supérieure à celle de Mme Desbordes-Valmore. Effectivement cette demoiselle se sentit tout d’un coup poète à douze ans, après la lecture d’un volume des œuvres de Racine. Dès-lors elle fit des vers, et reconnut fort bien elle-même que c’étaient des élégies, sans que la sagacité d’aucun homme de lettres le lui eût découvert.

Nous ne souscrivons pas à tous les éloges outrés que décerne aux Rêves d’une jeune fille l’affectueuse complaisance de Mme la marquise de R*** ; mais nous convenons volontiers que ces poésies sont un heureux et honorable début. Bien que ce soit Racine qui ait révélé à Mlle Élise Moreau sa vocation comme poète, c’est de M. de Lamartine qu’elle dérive principalement. S’il lui manque beaucoup du souffle puissant de l’auteur de Jocelyn, elle a quelque chose de sa molle harmonie, de sa grace négligée, de son élégance incorrecte. C’est dans une sphère d’idées analogues qu’elle se meut. Elle voit aussi et elle admire la nature à travers je ne sais quel voile fantastique ; de là le vague et l’incertitude de ses descriptions, L’ame de sa poésie, ce n’est pas le sentiment ; c’est cette sorte de mysticisme sentimental qui abonde dans les Méditations et les Harmonies. M. de Lamartine se plaît à interroger le clair de lune :

Charmant rayon, que me veux-tu ?
Ceux qu’il a aimés ne lui sont-ils pas ramenés par la mélancolique clarté de l’astre des nuits ?
Douce lumière, es-tu leur ame ?

Mlle Élise Moreau a fréquemment de ces colloques mystiques avec son ange gardien et d’autres invisibles apparitions. Mais ces imitations effacées des beautés les moins irréprochables d’un maître éminent ne sont pas, à nos yeux, la faute la plus grave de cette demoiselle. Nous lui reprocherons plutôt son extrême penchant à jeter des pensées vulgaires dans un moule lyrique banal et usé. Fallait-il qu’après tant d’autres elle vint dresser aussi l’interminable liste de ses sympathies poétiques ?

On n’en finirait pas de conter tout ce qu’elle aime. Elle aime les soirs d’hiver et les soirs d’été, elle aime rêver dans les bois et rêver près de l’âtre, elle aime les sons de la lyre et ceux de la tempête ; mais ce qu’elle aime par-dessus tout, ce qu’elle aime à chaque page, c’est l’orage, l’orage furieux, lorsqu’il jette sur la plage les débris de cent vaisseaux brisés.