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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

timide et respectueux, et où il représente l’humble famille après le souper, s’agenouillant pour rendre grace à Dieu dans une prière commune, il s’élève alors à un ordre d’idées qui laissent loin derrière lui son gracieux modèle. Ce poème, du reste, paraît être un hommage rendu à la mémoire de son père, et cet hommage fait honneur à tous deux.

Dans le conte des Deux Chiens, the Two Dogs, la morale se présente sous un aspect moins austère. C’est ce morceau que je choisirais, si j’avais à établir un parallèle entre Burns et le fabuliste français.

Par une belle journée du mois de juin, deux chiens se rencontrent. Le premier, nommé César, est une bête de luxe, un étranger venu de bien loin, là où les marins vont pêcher la morue : son beau collier de cuivre à serrure et gravé montre qu’il est gentilhomme et lettré ; mais il n’en est pas plus fier. L’autre, nommé Luath (nom du chien de Cuthullin dans le Fingal d’Ossian), chien au poitrail blanc et au dos fourré d’un habit noir luisant, appartient à un laboureur, rimeur écervelé. Après s’être flairés d’un nez social, après avoir déterré taupes et souris, après mille et mille excursions, fatigués de plaisir, ils s’asseient sur une butte, et là commence une longue digression sur les maîtres de la création.

César entame la conversation par une peinture de la richesse oisive des seigneurs : « Mon maître touche ses rentes, son charbon, ses poulets et toutes ses redevances ; il se lève quand bon lui semble ; sa livrée accourt à sa sonnette ; il demande sa voiture ; il demande son cheval ; il tire une belle bourse de soie aussi longue que ma queue, où Georget, de ses yeux jaunes, lorgne au travers des mailles… » Ce ne sont que festins du matin au soir. Mais comment font les laboureurs pour vivre, cela passe son intelligence. Luath, tout en avouant qu’ils souffrent souvent le froid et la faim, répond par une description animée de leurs plaisirs au jour de l’an, description qui se termine par ces deux vers, dont le dernier me paraît sublime de vérité naïve :


My heart has been so fain to see them,
That I for joy hae barkit wi’them
.

Mon cœur, en les voyant, se sentait si joyeux,
Que de ravissement j’aboyais avec eux.