Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/615

Cette page a été validée par deux contributeurs.
611
POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

de Virgile, sont toujours dignes d’un consul, et qui emportent leurs amours de la ville pour y rêver aux détours d’une allée sablée, ou au courant d’une rivière factice. La muse de Burns est toute rustique : elle habite sous le chaume, se lève avec le soleil, attelle elle-même ses bœufs, mouille les sillons de sa sueur, vit de pain d’avoine, entre volontiers au cabaret, parle plus de pavots que de tulipes, de mares que de lac, de canards que de cygnes, et ne prend ses amours qu’au village : peut-être est-ce pour cela qu’elle est si peu constante. Avec un tel guide, comme on est loin des boudoirs et des serres-chaudes, comme on respire le grand air, comme tout s’anime et parle au cœur, comme tout intéresse et passionne ! C’est alors qu’on sent les rapports intimes de la nature avec celui qui l’aime et qui vit en elle ; c’est alors qu’on fait bon marché de l’importance des sujets, des préoccupations de forme, et de toutes ces niaiseries pédantesques : car on comprend que la poésie, c’est le sentiment, que le style n’en est que l’enveloppe diaphane, et que c’est au rayonnement intérieur qu’il doit emprunter son véritable éclat.

En tenant compte de la distance qui sépare les tableaux de genre et ceux d’histoire, après le grand nom de l’universel Shakspeare, je ne craindrais pas de citer Burns comme un des poètes les mieux doués de la nature. Sa plus saillante qualité fut celle qui est le plus indispensable à un poète, une sensibilité profonde, un cœur largement ouvert à toutes les impressions de l’amour et de la haine, mais surtout de l’amour dans la plus vaste acception du mot, amour des femmes, amour de la patrie, amour de la nature. Il y joignait une ame noble, pleine du sentiment de sa dignité, désintéressée jusqu’à l’excès, courageuse, résignée dans l’adversité, à la fois religieuse et éclairée ; un esprit plein d’humour, mais dont la gaieté ne desséchait nullement la tendresse du cœur ; une sensualité, source de bien et de mal, de qualités et de défauts, mais à coup sûr source aussi de poésie ; enfin une imagination brillante qui anime tous ses tableaux du coloris le plus frais, le plus séduisant et en même temps le plus vrai.

Sous certains rapports, Burns est le poète qui rappelle le plus notre adorable La Fontaine. C’est la même bonhomie railleuse, la même philosophie indulgente, c’est la même tendresse d’ame, le même amour de la création, la même compassion pour toutes les