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Je me réserve de parler de son chef-d’œuvre, the Farmer’s ingle, le Coin du feu du fermier, lorsque j’examinerai le beau poème de Burns, the Cotter’s saturday night, le Samedi soir dans la Chaumière.

Burns, quand il commença à écrire, avait lu Allan Ramsay ; mais il ne connaissait pas les poésies de Fergusson. Dès qu’il les lut, il se sentit pris de tendresse pour cette ame ardente et sensible, pour cette jeune imagination dont il s’inspira plusieurs fois. Ayant su que sa tombe dédaignée n’avait pas même obtenu les honneurs d’une pierre, il écrivit aux magistrats de Canongate à Édimbourg, et arracha, non sans peine, de leur insouciance la permission de réparer à ses frais cet oubli honteux. Hélas ! même patrie, même talent, même cœur, même fortune, qui pouvait mieux apprécier Robert Fergusson que Robert Burns ? Leur vie à tous deux fut empoisonnée par des privations de toute espèce, et par les souffrances morales du génie méconnu : Fergusson moins à plaindre peut-être d’être mort à vingt ans, sans femme, sans enfans, n’ayant eu à pleurer que sur soi, à souffrir que de sa propre faim.


I dread thee, fate, relentless and severe,
With all a poet’s, husband’s, father’s fear
 !

Je te redoute, ô sort implacable et sévère,
De ma peur de poète, et d’époux, et de père !


Églogues champêtres, épîtres familières, romances amoureuses, chants nationaux, contes rustiques, Robert Burns a traité tous les genres de poésie d’Allan Ramsay. Il ne l’abandonne que dans ses malheureuses incursions sur le domaine anglais. Comme lui, il se distingue par la vie de ses personnages, par la vérité de ses tableaux, par la franchise native de son style, par son humour ; mais il l’emporte sur son prédécesseur en verve et en chaleur d’ame. Burns est de cette famille d’écrivains dont le génie vient du cœur, pectus est quod facit disertos. Chez lui, point de préoccupation littéraire, point de beautés de cabinet. Il vit en plein air, en pleine nature. Ce n’est point une de ces muses pastorales qui ne visitent la campagne qu’aux beaux jours et pour s’y refaire de toutes les délicieuses fatigues de l’hiver ; muses de châteaux qui ne chantent qu’une nature de choix, dont les forêts, comme celles