Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/609

Cette page a été validée par deux contributeurs.
605
POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

mère de l’ale et du whiskey, avec sa mythologie toute vivante encore dans les ames, avec tous ses glorieux souvenirs ; mais la nature qu’il a sous les yeux, et les sentimens qu’il a dans le cœur ; mais les vertus domestiques du chaume paternel ; mais les souffrances des animaux, victimes éternelles de l’homme ; mais ses chagrins si nombreux ; mais ses amours, encore plus nombreuses peut-être ; oh ! à la bonne heure ! de jour et de nuit, par la pluie ou le soleil, laboureur courbé sur le soc, ou pauvre jaugeur à cheval sur la grande route, il oubliera, à les chanter, toutes les tristes réalités de la vie.

Quelle plante frêle et délicate que le génie ! et quelle combinaison de circonstances il faut pour l’amener à bien ! Ce n’était pas assez, cette fois, d’un cœur passionné et d’une imagination ardente, il fallait que l’adversité fécondât et fît éclore ces germes ; il fallait que l’ignorance en abritât la fleur. Et puis étonnons-nous que ce fruit divin soit si rare, et que, comme l’arbre merveilleux des contes orientaux, le génie ne fleurisse que tous les cent ans.

À l’époque où naquit Burns, l’Écosse était un terrain singulièrement propre à cette précieuse culture. La poésie a besoin d’un climat tempéré, entre le soleil dévorant de la civilisation et l’ombre glaciale de la barbarie. Dans le premier cas, on exprime ce qu’on ne sent pas ; dans le second, on ne sait pas exprimer ce qu’on sent. Grace à une loi rendue par le parlement d’Écosse, en 1646, mais qui, révoquée par Charles II, ne reçut d’exécution qu’après la révolution de 1696, les campagnes de l’Écosse se trouvaient précisément dans ce mezzo termine. Cette loi, qui ordonnait l’établissement d’une école dans chacune des paroisses du royaume, eut des résultats rapides et satisfaisans. L’église presbytérienne, qui avait usé de son pouvoir sur des esprits dévots jusqu’au fanatisme pour donner à l’enseignement une direction religieuse, devint, par son succès même, la protectrice naturelle de l’école : elle en soutint le maître qui, bien souvent, était quelque jeune homme se destinant à entrer dans les ordres, et utilisant ainsi les loisirs d’une candidature qui est fort longue dans ce pays. Toutes ces ames pieuses regardèrent comme un devoir d’envoyer leurs enfans à des leçons recommandées par le ministre de la paroisse ; et depuis cette époque, non-seulement beaucoup de fermiers, mais jusqu’à de simples paysans, s’astreignirent à de