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et l’Histoire de sir William Wallace. Jamais livres depuis ne m’ont fait ce plaisir. Annibal enflamma ma jeune imagination d’une ardeur militaire. Je marchais fièrement à côté des recrues, au son du tambour et de la cornemuse, regrettant de n’être pas assez grand pour être soldat. Et quant à l’histoire de Wallace, elle versa dans mes veines un préjugé écossais qui fera bouillonner mon sang jusqu’au jour où, la vie fermant ses écluses, il rentrera dans le repos éternel.

« La déesse de la polémique, à cette époque, avait ensorcelé le pays ; et moi, jaloux de briller dans les réunions des dimanches, entre les sermons, aux funérailles, etc…, je me mis, quelques années plus tard, à attaquer le calvinisme avec tant de chaleur et d’indiscrétion, que je soulevai contre moi un cri d’hérésie qui retentit encore à cette heure.

« La proximité d’Ayr eut pour moi quelque avantage. Mon humeur sociable, quand l’orgueil lui laissait le champ libre, était, comme la définition de l’infini dans notre catéchisme, « sans bornes ni limites. » Je formai des liaisons avec quelques jeunes garçons plus favorisés que moi de la fortune, et occupés à répéter les rôles dans lesquels ils allaient paraître sur le théâtre de la vie où j’étais, hélas ! destiné à les envier de la coulisse. D’ordinaire, ce n’est pas à un âge si tendre que nos gentilshommes ont le juste sentiment de l’énorme distance qui les sépare de leurs camarades en guenilles. Ce n’est pas en un jour que l’on donne à un petit grand seigneur ce dédain convenable et séant pour les insignifians et stupides pauvres diables d’ouvriers et de paysans qui l’entourent, et qui peut-être sont nés dans le même village que lui. Mes jeunes supérieurs n’insultèrent jamais l’apparence rustaude de mon misérable individu, dont les deux extrémités étaient souvent exposées à l’inclémence de toutes les saisons. Ils me faisaient cadeau de volumes dépareillés, où même alors je puisais quelque observation. L’un d’eux… m’apprit un peu de français ; et quand il arrivait à mes jeunes amis et bienfaiteurs de s’embarquer pour les Indes orientales ou occidentales, ces séparations me causaient souvent une vive affliction. Mais j’allais être appelé à des maux plus sérieux.

« Le généreux maître de mon père mourut. La ferme devint un marché onéreux, et pour comble d’infortune, nous tombâmes dans les mains d’un agent qui a posé pour le portrait qui se trouve dans