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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

dans son enthousiasme part pour l’Écosse, afin de voir ce génie dont sa patrie sera justement fière un jour. Où le trouvera-t-il ? Rêvant sur les bords fleuris du Doon ou de la Cree, et confiant les peines secrètes de son cœur à sa muse, pour qu’elle en prenne sa part et le soulage ? Non, il est dans une cave, à jauger de l’ale ou du whiskey !

Et ne le plaignons pas trop. Songez donc, depuis Homère, quelle série de poètes mendians ; et il n’y a pas bien long-temps (en 1579) que les ménestrels d’Écosse ont été rangés par la législation dans la classe des vauriens et des vagabonds. En faire des douaniers, c’est réellement un immense progrès. Et sans cette place, que serait-il devenu ? Un jour il a manqué de la perdre : il s’était permis de parler politique, et d’exprimer une opinion. Un jaugeur, une opinion ! quelle audace ! quel scandale ! Heureusement quelques protecteurs intervinrent, et on se contenta de le prévenir qu’il ne devait désormais espérer aucun avancement. Depuis cette époque, le découragement s’empara de lui à tout jamais. Des rhumatismes gagnés sans doute au service de cette paternelle administration, et une fièvre lente, ruinèrent sa constitution, déjà minée par tant de soucis, et il rendit au ciel sa belle ame avec le regret de laisser sans appui, dans un monde qu’il avait trouvé lui-même si peu charitable, quatre enfans et sa femme près d’accoucher d’un cinquième, qui naquit le jour même des funérailles de son père.

À peine était-il mort que, selon l’éternel usage, tous les esprits furent en émoi. Le peuple, qui n’aime guère les beaux vers, aime fort en revanche les beaux enterremens : il ne voulut pas perdre cette occasion d’un divertissement funéraire. Les volontaires de Dumfries résolurent de rendre les honneurs militaires à leur illustre camarade ; l’infanterie et la cavalerie, qui étaient dans la ville, se joignirent à eux ; les principaux habitans daignèrent suivre le cortége, et le corps fut porté à bras jusqu’au cimetière où, pour dernier adieu, il fut salué de trois décharges. Et puis dites que la patrie est ingrate envers ses grands hommes !

Une souscription, ouverte au profit de sa veuve et des cinq enfans, s’éleva à 700 livres sterling, et M. James Currie se chargea de publier une édition complète des œuvres de Burns, dont le produit fut destiné au même usage. Ainsi se trouvèrent heureusement démentis les pressentimens funestes qui assiégeaient son lit