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HISTOIRE DE VITTORIA ACCORAMBONI.

Hier matin, qui fut le jour de Saint-Étienne, tout le monde s’attendait à voir mourir ledit prince Louis, ou à ouïr raconter qu’il avait été étranglé en prison ; et l’on fut généralement surpris qu’il en fût autrement, vu qu’il n’est pas oiseau à tenir long-temps en cage. Mais la nuit suivante le procès eut lieu, et le jour de Saint-Jean, un peu avant l’aube, on sut que ledit seigneur avait été étranglé et qu’il était mort fort bien disposé. Son corps fut transporté sans délai à la cathédrale, accompagné par le clergé de cette église et par les pères jésuites. Il fut laissé toute la journée sur une table au milieu de l’église pour servir de spectacle au peuple et de miroir aux inexpérimentés.

Le lendemain son corps fut porté à Venise, ainsi qu’il l’avait ordonné dans son testament, et là il fut enterré.

Le samedi on pendit deux de ses gens ; le premier et le principal fut Furio Savorgnano, l’autre une personne vile.

Le lundi qui fut le pénultième jour de l’an susdit, on en pendit treize parmi lesquels plusieurs étaient très nobles ; deux autres, l’un dit le capitaine Splendiano et l’autre le comte Paganello, furent conduits par la place et légèrement tenaillés ; arrivés au lieu du supplice, ils furent assommés, eurent la tête cassée, et furent coupés en quartiers, étant encore presque vifs. Ces hommes étaient nobles, et avant qu’ils se donnassent au mal, ils étaient fort riches. On dit que le comte Paganello fut celui qui tua la signora Vittoria Accoramboni avec la cruauté qui a été racontée. On objecte à cela que le prince Louis, dans la lettre citée plus haut, atteste qu’il a fait la chose de sa main ; peut-être fut-ce par vaine gloire comme celle qu’il montra dans Rome en faisant assassiner Vitelli, ou bien pour mériter davantage la faveur du prince Virginio Orsini.

Le comte Paganello, avant de recevoir le coup mortel, fut percé à diverses reprises avec un couteau au-dessous du sein gauche, pour lui toucher le cœur comme il l’avait fait à cette pauvre dame. Il arriva de là que de la poitrine il versait comme un fleuve de sang. Il vécut ainsi plus d’une demi-heure, au grand étonnement de tous. C’était un homme de quarante-cinq ans qui annonçait beaucoup de force.

Les fourches patibulaires sont encore dressées pour expédier les dix-neuf qui restent, le premier jour qui ne sera pas de fête.