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HISTOIRE DE VITTORIA ACCORAMBONI.

partie parce qu’on ne croyait pas que l’élection du successeur de Grégoire XIII dût avoir lieu aussi promptement. Le fait est que le mariage ne se fit que le jour même que fut créé pape le cardinal Montalto, si intéressé dans cette affaire, c’est-à-dire le 24 avril 1585, soit que ce fut l’effet du hasard, soit que le prince fût bien aise de montrer qu’il ne craignait pas plus la corte sous le nouveau pape, qu’il n’avait fait sous Grégoire XIII.

Ce mariage offensa profondément l’ame de Sixte-Quint (car tel fut le nom choisi par le cardinal Montalto) ; il avait déjà quitté les façons de penser convenables à un moine, et monté son ame à la hauteur du grade dans lequel Dieu venait de le placer.

Le pape ne donna pourtant aucun signe de colère ; seulement, le prince Orsini s’étant présenté ce même jour avec la foule des seigneurs romains pour lui baiser le pied, et avec l’intention secrète de tâcher de lire, dans les traits du saint père, ce qu’il avait à attendre ou à craindre de cet homme jusque-là si peu connu, il s’aperçut qu’il n’était plus temps de plaisanter. Le nouveau pape ayant regardé le prince d’une façon singulière, et n’ayant pas répondu un seul mot au compliment qu’il lui adressa, celui-ci prit la résolution de découvrir sur-le-champ quelles étaient les intentions de sa sainteté à son égard.

Par le moyen de Ferdinand, cardinal de Médicis (frère de sa première femme), et de l’ambassadeur catholique, il demanda et obtint du pape une audience dans sa chambre ; là il adressa à sa sainteté un discours étudié, et, sans faire mention des choses passées, il se réjouit avec elle à l’occasion de sa nouvelle dignité, et lui offrit comme un très fidèle vassal et serviteur tout son avoir et toutes ses forces.

Le pape[1] l’écouta avec un sérieux extraordinaire, et à la fin lui répondit que personne ne désirait plus que lui, que la vie et les actions de Paolo Giordano Orsini fussent à l’avenir dignes du sang Orsini et d’un vrai chevalier chrétien ; que quant à ce qu’il avait été par le passé, envers le saint siége et envers la maison et la personne de lui pape, personne ne pouvait le lui dire mieux que sa propre conscience ; que pourtant, lui prince pouvait être assuré d’une chose, à savoir, que tout ainsi qu’il lui pardonnait volontiers

  1. Sixte-Quint, pape, en 1585, à soixante-huit ans, régna cinq ans et quatre mois. Il a des rapports frappans avec Napoléon.