cisément parce que les formes de cet art, n’ayant pas de fondemens profonds dans l’histoire féodale, se prêtent à tous les changemens, et peuvent survivre à tous les naufrages. Émancipées du servage du moyen-âge, ces formes s’appliquent à la France nouvelle plus qu’à la France ancienne ; et il est dans la nature des choses, que plus ce pays s’affranchira des souvenirs et des liens de son passé, plus cette poésie lui ressemblera ; en sorte que les changemens de mœurs, de lois, de régimes, qui vieilliront tout le reste, ne feront que la rajeunir.
Voilà pourquoi il est bien inutile de s’inquiéter sérieusement de la gloire du siècle de Louis XIV. Ce siècle, éternellement triomphant, est le génie même de la France ; il lui apparaît chaque nuit sous sa tente. Et pourtant le monde aujourd’hui est plein d’hommes au langage funèbre, qui vont partout prophétisant sa ruine, s’ils ne lui portent secours. Ne les arrêtez pas ; ne leur parlez pas ; ils se hâtent, et peut-être arriveront-ils trop tard. En effet, ils ont pris sous leur très noble, très haute et très puissante protection, ce siècle défaillant. Ces chevaliers de la gloire se sont faits les défenseurs des faibles et des affligés, à savoir, de Bossuet, de Pascal, de Corneille, de Racine, de Molière, de Voltaire et de plusieurs autres orphelins de cette famille. Ils se travaillent incessamment pour la cause de ces opprimés ; ils ne boivent, ni ne mangent, ni ne sommeillent ; ils en mourront. Ne pourraient-ils pas, en conscience, et sans danger pour leurs pupilles, se permettre quelque repos, et au besoin, de dormir sur leur lance ?
Si, comme quelques personnes le pensent, le moyen-âge a été le paradis des croyances populaires et de la poésie instinctive, le siècle de Louis XIV est celui qui nous en sépare irrévocablement. La France a goûté vers ce temps-là le fruit de l’arbre de la science du bien et du mal. Elle ne peut retourner en arrière dans son âge d’innocence. Austère, inexorable, l’époque de Louis XIV est comme l’ange à l’épée flamboyante, qui ferme sur nous les portes de cet Eden mystique. Toutes les fois que les peuples commencent à défaillir, et tournent avec regret la tête vers ce paradis perdu, le grand siècle se soulève de lui-même, et rend le retour impossible. Nul de nous ne rentrera dans l’Eden de la poésie et de la foi des ancêtres. Les portes ciselées par les archanges ont été closes avec fracas. En vain mille efforts se déchaîneront contre elles :