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POÈTES ÉPIQUES.

du moyen-âge a persisté dans les lettres comme dans la société politique. Dès les croisades, on aurait pu prédire les développemens successifs de la poésie italienne, espagnole, allemande, anglaise. Le spectacle des Mystères contenait déjà l’ébauche du drame de Caldéron, de Shakspeare, de Goëthe. Dans les épopées religieuses et chevaleresques se trouvent les premières origines de Dante, d’Arioste, de Spenser ; Pétrarque et Camoëns ont des rapports avec les troubadours ; Raphaël en a avec Fiesole, avec Masaccio. Il n’en est point ainsi du siècle de Louis XIV. Sans passé, né de lui-même, il s’est levé à l’improviste, dans la famille des siècles, comme la coupole demi-chrétienne, demi-païenne, de Saint-Pierre, parmi les cathédrales du moyen-âge. Des formes que l’humanité a produites, orientales, grecques, romaines, féodales, il a choisi librement celles dont il lui a plu de se rapprocher. Il s’est donné les aïeux qu’il a voulus ; et ordonnant, reniant, brisant, renouant ainsi à son gré le lien des générations, le siècle de Louis XIV est devenu le premier acte des révolutions dans lesquelles la France devait engager le monde. Appelée à abolir le moyen-âge dans les lois et dans les mœurs, la France a commencé par l’abolir dans la poésie. Sa littérature a été, comme ses institutions civiles, un acte de choix et de libre arbitre, non de nécessité et de tradition ; et il n’est pas prouvé que l’Art poétique de Boileau n’ait été, dans un temps, ce que la déclaration des droits de la Constituante a été dans un autre.

Par là s’expliquent la défiance, l’antipathie instinctive de la France pour les formes et pour les habitudes des littératures étrangères. Il est clair que, continuant l’œuvre des traditions abolies, ces littératures sont en contradiction perpétuelle avec le génie de la France et le principe de son action. Aussi, aura-t-on beau faire ; Dante, Caldéron, Shakspeare, apparaîtront long-temps encore parmi nous comme les fantômes d’un passé ennemi.

D’une autre part, j’ai souvent entendu remarquer avec étonnement que les ennemis les plus ardens du régime politique de Louis XIV sont restés les plus fidèles partisans des établissemens et des principes littéraires de cette époque. C’est au milieu des réactions les plus violentes contre le passé que cette royauté de l’art a jeté les racines les plus profondes au cœur de la nation. Le xviie siècle a triomphé même en 89 et en 93. Pourquoi cela ? Pré-