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gouvernement répond de tout ce qui s’imprime chez lui, nous tenons compte à la direction du journal de cette agression tout-à-fait indécente, et qui a été certainement, sinon commandée, du moins permise. En ce qui concerne particulièrement M. Janin, la Revue des Deux Mondes doit pourtant reconnaître qu’elle a mérité cette offense. Elle a refusé d’insérer sur l’auteur du Chemin de traverse tout article plus ou moins connu et agréé de lui ; elle n’a pas consenti à le laisser juger et louer comme il l’entendait lui-même ; et, nonobstant toute sollicitation, elle l’a fait apprécier dans un article indépendant, avec une étendue, avec une attention qu’un amour-propre mieux placé aurait dû trouver déjà fort indulgente et fort honorable.


— La tentative hasardée par M. Alfred de Vigny, pour tirer l’art dramatique de la voie fausse où il était engagé, commence enfin à porter des fruits. Voici un jeune écrivain plein d’avenir, qui s’élance, sur les traces de l’auteur de Chatterton, à la découverte du drame philosophique. Le Riche et le Pauvre est une œuvre conçue dans des idées de progrès social en même temps que de progrès littéraire, ce qui est un double titre à l’approbation des esprits sérieux. Sans vouloir parler ici du roman de M. Émile Souvestre, dont cette pièce est tirée, roman sur lequel nous comptons revenir d’ailleurs, félicitons l’auteur de s’être proposé un but sensé. Ce qui plaît dans le drame de M. Émile Souvestre, c’est que, d’abord, c’est une œuvre de travail et de conscience ; ensuite, c’est que l’on n’y remarque pas la prétention d’imposer un système au public. Cependant nous reprocherons à M. Souvestre d’avoir trop donné peut-être dans la réaction. Sans doute il est misérable de voir l’art dramatique réduit à une fantasmagorie perpétuelle ; sans doute il est puéril de faire d’un drame un prétexte à décorations, mais ce n’est point à dire pour cela que le Spectacle doive être oublié complètement. Or, dans le Riche et le Pauvre, M. Souvestre s’est plus préoccupé évidemment de satisfaire notre cœur que nos yeux. La balance n’est pas égale. À tout prendre, néanmoins, il vaut encore mieux sentir que voir.

L’idée du drame dont nous parlons est fort simple. L’action se passe entre deux acteurs, comme l’indique le titre, un pauvre et un riche, Antoine et Arthur. Pendant les deux premiers actes, nous sommes témoins de la destinée diverse des deux héros. Nous voyons d’un côté l’élégant Arthur, à qui tout sourit, que tout sert, qui arrive à tout par cette seule raison qu’il est riche ; de l’autre, Antoine dans une mansarde, écrasé sous le poids de son infériorité sociale : tout lui est contraire, tout lui est hostile ; au fond de toute tentative généreuse il ne rencontre que le découragement. Pourquoi ? parce qu’il est isolé dans