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POÈTES ÉPIQUES.

roïque. C’est du milieu des démocraties d’Italie que sortit la première satire du grand poème de la féodalité. Pulci est du pays de Savonarole et de Machiavel. Après lui, Arioste et Cervantes se partagèrent la double épopée de la chevalerie. Dans ce dernier moment, la division primitive des deux cycles fut encore maintenue, et la raillerie consommée avec une étiquette royale. Roland Furieux resta le neveu de Charlemagne et représenta tout le cycle évanoui des Carlovingiens. Quant à Don Quichotte, poursuivant à travers monts et vaux son idéal inaccessible, qui ne reconnaîtrait le dernier né de la famille des paladins d’Arthus et du Saint-Graal ? Je voudrais que quelqu’un racontât les piperies qu’il a fallu au monde pour tomber peu à peu de Parceval-le-Gallois à Gargantua et à Grandgousier, et de Béatrix de Portinari à Dulcinée du Toboso.

Par degrés, la poésie féodale tomba dans un si grand oubli, qu’autant eût valu qu’elle n’eût pas existé. Depuis Malherbe, tout data de la Renaissance. Contre les analogies manifestes de l’histoire, il demeura décidé que, par une exception sans exemple, la poésie en France était née en l’an 1510 environ, de l’épigramme et du sonnet, dans le cabaret des écoliers de Paris. Tout son passé chevaleresque lui fut retranché. Villon et Marot furent les vénérables aïeux, à barbe blanche, qui présidèrent à ce berceau et le tachèrent de lie. Avec moins de préoccupation, il eut été possible de s’apercevoir que le madrigal, le sonnet, la ballade affectée, l’épître, le triolet, et les autres formes artificielles de ce temps-là, annonçaient la décadence d’un art ancien, aussi bien que les essais d’un art nouveau. Par delà les poètes des Valois auraient apparu les poètes de Philippe-Auguste.

En effet, si quelque chose doit être conclu de tout ce qui précède, c’est que la poésie en France n’a pas eu de moindres origines que dans le reste de la société chrétienne. Elle n’est pas de plus chétive lignée que l’italienne, l’espagnole, l’allemande, l’anglaise. Elle est née dans le berceau commun à tous, dans l’église. Avec la féodalité, elle a grandi hors des villes, dans les châteaux, parmi les chants des troubadours et les pompes des fêtes provinciales. Au xiiie siècle, elle est parvenue avec la constitution du moyen-âge, à une sorte de maturité. Après cela, elle a, comme une littérature formée, parcouru les longues phases