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LETTRES POLITIQUES.

qui lui permirent de bâtir le fort Saint-Nicolas sur le rivage qui forme la baie de Trébizonde ; elle a souffert qu’elle s’avançât jusqu’à l’Ararat, que lui a ouvert le traité de Turkoman-Chai en 1828 ; l’Angleterre a vu signer, en se contentant de protester, les traités d’Unkiar-Skelessi et d’Andrinople ; et aujourd’hui que la Russie s’est établie, en les séparant, au beau milieu des populations de l’Anatolie, de la Perse, de la Géorgie et du Caucase, laissant derrière elle la Circassie dans l’isolement ; à présent qu’elle occupe presque tout l’isthme qui sépare la mer Caspienne de la mer Noire, et qu’elle garde avec vigilance la Porte de Fer et le Vlady, les deux seuls passages du Caucase, l’Angleterre s’avise de s’émouvoir à la nouvelle du blocus de la côte d’Abasie, déjà à demi conquise, et aux deux extrémités de laquelle flotte, depuis 1829, le pavillon russe, soutenu, sur sept points différens de cette côte, par plus de treize mille hommes de troupes régulières, répandues dans des forts depuis Anapa jusqu’à Poti ! S’émouvoir, à la bonne heure ; mais faire la guerre pour ce motif, quand on a montré tant de longanimité, c’est ce qu’il est difficile de supposer.

Le pays des Tcherkesses ou la Circassie est, en quelque sorte, la Vendée de l’empire russe. La Russie a bien grandi depuis que les Russes abordaient la côte d’Abasie dans des petites barques pour solliciter la permission de pêcher dans la mer d’Azof ; elle a conquis une partie de la Suède, la Pologne, de belles provinces allemandes, turques et persanes ; elle s’est avancée aux dépens de la Tartarie jusqu’à la Chine ; son empire s’étend de la mer Blanche à la mer Caspienne, et cependant la Circassie n’est pas encore soumise, et défend son territoire contre les vaisseaux russes qui la bloquent d’un côté le long de la mer Noire, et les armées russes qui campent sur son flanc opposé, devant les défilés du Caucase. Quatre millions d’ames résistent, dans ce petit coin de terre, à tous les efforts de la Russie. N’est-il pas singulier que l’Angleterre, disons l’Europe, qui a oublié si long-temps la Circassie, se souvienne d’elle aujourd’hui, et semble vouloir prendre sa cause en main ?

Le secours est tardif. Cependant, si l’Angleterre a reconnu la nécessité d’arrêter la Russie par l’énergie de son attitude, si elle est décidée à soutenir cette attitude par la guerre, si ses flottes sont armées, et ses matelots prêts à étendre les voiles, déjà sur les haubans, il faut se hâter de lui dire que la question de l’indépen-