Appelée à ruiner le passé, il semble qu’elle ne devait laisser en arrière aucun établissement durable.
Le tiers-état qui surgissait ne pouvait guère nourrir un amour profond pour ces épopées dans lesquelles il ne jouait que le rôle du serf. Ce n’était pas pour lui qu’elles avaient été composées. Il n’y trouvait que le tableau de son abaissement. Outre cela, il s’était fait sa propre poésie dans l’apologue et la grande composition du Renard ; poésie corvéable et mainmortable qui n’ose pas s’exprimer par une bouche humaine ; quand elle sera affranchie, c’est à elle que La Fontaine se rattachera.
Quelques lambeaux de l’épopée sérieuse survécurent par hasard. Au plus haut du paradis, Dante rencontre Roland dans l’étoile de Mars, Guillaume dans l’étoile de Jupiter. Le grossier Obéron du XIIe siècle reparaît dans une Nuit d’Été de Shakspeare, Fierabras dans un des mystères de Caldéron, Charlemagne dans Boairdo, Pulci, Arioste, Cervantes ; voilà les miettes tombées de la table d’Homère.
Il y avait, au reste, dans le sublime du XIIIe siècle, un côté ridicule qui devait finir par être découvert. Pour que les esprits n’en eussent pas été frappés plus tôt, il fallait même qu’ils fussent aussi sincèrement préoccupés qu’ils l’étaient en effet. Ces anachronismes qui supprimaient le temps, cette géographie héroïque qui supprimait l’espace, ne pouvaient pas toujours durer. L’ignorance céleste sur laquelle tout reposait devait cesser un jour, et alors le rire allait remplacer les éternelles larmes des amans de Cornouailles. Ô rire plus amer que les pleurs ! renaissance plus triste que le tombeau ! quand le calice du Graal se remplit du vin de Toscane et que les lèvres ascétiques y burent l’oubli de l’antique espérance, la menace comme les promesses, la foi des vivans comme la foi des morts, tout avait été déçu. Ni le monde n’avait fini à l’heure publiée par le Dies iræ, ni les morts trop attendus n’étaient ressuscités, ni Arthus ne s’était réveillé dans la forêt de Bretagne. Sur le tombeau de Tristan et d’Yseult, le lierre et la rose s’étaient flétris l’un l’autre. Au sommet du Mont Sauvage, le fantôme de l’idéal avait disparu avant d’avoir été atteint par la chevalerie. Qui pourrait dénombrer les désenchantemens de l’homme à la fin du moyen-âge ? et que sont les nôtres à côté de ceux-là ? Le XVe siècle et le XVIe s’en vengèrent par un rire hé-