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De nos jours, la critique allemande a la première donné l’exemple de publier des textes complets de ces différentes versions. Elle a fourni par là une base à l’étude des littératures comparées du moyen-âge. Seulement, on s’étonne qu’elle ait mêlé si fréquemment à ces questions des origines les passions de réaction d’un autre âge. Trop souvent on pourrait résumer comme il suit ses remarques sur la poésie d’Arthus et de Charlemagne : Tout ce qui, dans l’épopée chevaleresque au moyen-âge, est grandeur, pureté, chasteté, sainteté, est l’élément allemand. Tout ce qui, dans la même épopée, est immoralité, ennui, monotonie, corruption, insipidité, est l’élément français. Pourquoi faire ainsi remonter au maillot les rancunes des peuples vieillis ?

Ce qu’il y a d’incontestable, c’est que les poètes français, dans le cycle guerroyant de Charlemagne, n’ont été surpassés de leur temps par aucun de leurs imitateurs. Dans le cycle d’Arthus, ils ont, de l’aveu des Meistersaenger, construit toute la fable ; ils ont inventé tous les évènemens. Mais sur le fond des imaginations provençales et normandes, les Allemands ont jeté une végétation efflorescente, à la manière des ornemens gothiques sur l’ogive d’abord nue du xiie siècle. Les Meistersaenger ont été, en quelque sorte, les imagiers et les foliaciers de ce genre de poésie. Ils en ont aussi, comme il a été dit ci-dessus, conservé le sens austère et religieux. D’ailleurs, moins agile, moins gracieuse, moins naïve que celle de Chrétien de Troie, la langue d’Eschembach, est, par compensation, plus étendue, plus élevée et plus grave. Les Meistersaenger ont prêté à la poésie française un panthéisme enfantin qui ne se retrouve jamais dans les originaux. Cette sympathie vague des fleurs, des ruisseaux, des chênes touffus avec les héros provençaux et bretons, appartient entièrement aux traducteurs. Je citerai de cela un seul exemple ; mais il est frappant, et tiré du poème le plus populaire du moyen-âge.

Tristan et Yseult, après avoir bu le breuvage d’amour, se sont enfuis au fond des bois. À peine arrivés dans ces solitudes, le Tristan français est obsédé par les difficultés de la vie matérielle. Pour protéger la vie d’Yseult, il déploie une excessive activité. Il ne quitte pas son arc ; les aboiemens de son lévrier retentissent à côté de lui dans la forêt. Avec ses flèches empennées, il poursuit les daims, les cerfs, les chamois. Il rapporte à la reine sa proie