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DU THÉÂTRE EN FRANCE.

taient la sincérité de ses convictions. Dès qu’il a quitté le terrain lyrique pour offrir à la foule l’antithèse et le spectacle, les hommes lettrés se sont éloignés de lui, parce qu’il n’avait plus rien à leur apprendre. Ils l’ont laissé au milieu de ses marionnettes dorées, et n’ont pas essayé de troubler le triomphe passager qu’il remportait sur la multitude ignorante. En écrivant Lucrèce Borgia, M. Hugo trahissait les promesses de Marion de l’Orme ; avant d’avoir entendu Angelo, les hommes lettrés n’espéraient plus pour lui la gloire dramatique.

M. Alfred de Vigny, en écrivant pour le théâtre, s’est placé sur un terrain personnel. Quoiqu’il y ait entre son premier et son second ouvrage une remarquable différence, cependant il est facile de saisir dans la Maréchale d’Ancre et dans Chatterton un caractère commun. Il serait absurde assurément de vouloir comparer le plan et la fable de ces deux pièces, dont l’une semble vouée au développement des évènemens, tandis que l’autre est exclusivement consacrée à l’expression d’un caractère unique. Mais si la marche et la conception de ces deux pièces n’ont aucune analogie extérieure, si la première paraît signifier le mouvement, tandis que la seconde signifie manifestement la réflexion, il n’est pourtant pas impossible de rapprocher Leonora Galigaï de Chatterton, et, tout en tenant compte des temps et des lieux où se sont produits ces deux personnages, de signaler l’intention élégiaque qui se révèle chez la favorite et chez le poète. Nous admirons sincèrement plusieurs scènes de la Maréchale d’Ancre ; nous ne contestons pas la finesse et le bon goût des conversations qui préparent la pièce. Mais à parler franchement, nous devons dire que dans la Maréchale d’Ancre les évènemens prennent trop souvent la place de l’action. Or, si les évènemens suffisent au récit, ils ne suffisent pas au drame ; les évènemens, en tant qu’évènemens, appartiennent à l’histoire ; l’action seule appartient au poète. Nous n’avons pas oublié tout ce qu’il y a de grand et de pathétique dans l’interrogatoire de Leonora Galigaï et dans le duel qui termine la pièce ; mais si vivans que soient nos souvenirs, nous persistons à croire que la Maréchale d’Ancre relève de l’élégie aussi bien que Chatterton. Le talent poétique de M. de Vigny se distingue entre tous par la grâce et la délicatesse. Mais ce talent semble convenir expressément à la plainte ; et quoique l’excellence dans un genre n’exclue pas néces-