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ils exclusivement lyriques. Cromwell, qui n’a jamais été conçu en vue de la représentation, contient, il est vrai, plusieurs odes de longue haleine ; mais le caractère dominant de cette œuvre se trouve tout entier dans l’expression du grotesque. Marion de l’Orme, Hernani et Triboulet sont voués plus nettement au développement de l’élément lyrique. Assurément cette tentative n’est pas sans importance et mérite d’être examinée sérieusement ; cependant nous croyons qu’elle n’intéresse pas directement le théâtre ; car tous les drames conçus d’après cette donnée, quelle que soit d’ailleurs leur valeur littéraire, ne peuvent exercer sur la foule une action durable. Or, le théâtre doit agir sur la foule. Marion, Hernani et Triboulet resteront comme des monumens de la volonté du poète ; il sera toujours curieux d’étudier l’épanouissement d’une ode, dont tous les rayons se partagent entre les personnages nés de la seule fantaisie. Reste à savoir si les rayons d’une ode, si lumineuse qu’elle soit, suffisent à douer de vie les personnages dont ils éclairent le front ; reste à savoir si l’ode peut traiter les acteurs du drame où elle s’établit comme le musicien traite les instrumens de son orchestre, et régner sur eux sans les consulter. À notre avis, la question se résout en se posant. L’ode, en se divisant sur plusieurs têtes, se multiplie sans se transformer. Toutes les merveilles qu’elle accomplit sont et demeurent des merveilles lyriques ; les strophes qui retentissent au théâtre sont toujours des strophes ; elles étonnent, mais n’émeuvent pas ; ou du moins l’émotion qu’elles produisent n’est pas une émotion dramatique. Je suis loin de penser que l’élément lyrique n’ait aucun rôle à jouer dans la composition du drame ; mais ce rôle ne doit jamais empiéter sur le drame lui-même, c’est-à-dire, sur la vie et les passions des personnages. Il doit n’être sensible qu’à de rares intervalles, et attendre, pour se montrer, que l’action proprement dite fasse une halte naturelle. L’élément lyrique ainsi compris a rendu d’éminens services à Corneille, à Molière, à Shakspeare. Mais ce n’est pas ainsi que le comprend M. Hugo : Marion, Hernani et Triboulet sont lyriques avant d’être vivans, c’est-à-dire dramatiques. La courtisane amoureuse, le bandit et le fou du roi sont moins préoccupés de la conduite qu’ils ont à tenir que de l’évolution des images qu’ils emploient. Ils s’écoutent parler, et s’inquiètent de l’expression de leur pensée bien plus que de leur pensée même. Ils chantent leur