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POÈTES ÉPIQUES.

tent guère de douter que les Provençaux n’aient été les créateurs du mécanisme épique. Si d’ailleurs on compare les poèmes de la langue d’oc et ceux de la langue d’oil, on s’aperçoit bientôt que les épithètes et les comparaisons convenues, les fins de vers fréquemment employées, les refrains, les habitudes et idiotismes particuliers aux trouvères ont été littéralement transportés d’un dialecte dans l’autre. Le rhythme une fois trouvé et reconnu, le branle fut donné ; de toutes parts, les épopées locales se formèrent comme d’elles-mêmes. Le verbe avait été prononcé, le chaos s’organisa. Il arriva pour la poésie ce qui arriva pour l’architecture. Quand l’ogive se fut élevée en un point, elle se trouva par miracle couvrir toute l’Europe occidentale. Ainsi des épopées. Le nord ne traduisit pas le midi, ni le midi le nord ; mais le problème de l’art une fois résolu par le rhythme et l’accent musical de la Provence, la langue du moyen-âge fut miraculeusement déliée. Le poème qui, depuis long-temps, se préparait au fond des cœur, éclata de toutes parts, et presque à la fois, en des langues différentes.

Non seulement les provinces du nord rivalisèrent avec celles du midi ; mais tous les peuples de l’Europe occidentale, les Allemands, les Anglais, les Danois, les Italiens, les Espagnols, peu à peu ébranlés par cette cadence, se mirent à la suivre et à la répéter en chœur. Chacun d’eux plia sa langue au mode de la France, et redit à son tour les aventures du Graal et celles du fils de Pépin. En ce temps-là, les nations jouaient avec les mêmes songes. Une même foi, un même amour, les rassemblaient encore. La France, qui devait plus tard les entraîner dans la vie politique, les entraînait alors dans la région des fables, et cette unité de la poésie annonçait l’unité de la civilisation moderne.

    pag. 388. — Ces expressions d’Eschembach (1215) ont long-temps paru trancher la question, car elles semblaient indiquer que l’auteur avait puisé son sujet dans un poème provençal ; mais il n’en est rien. Dans un passage cité l’année dernière par M. Lachmann, Eschembach affirme positivement que l’ouvrage de Guyot le Provençal, où il a puisé le sien, était écrit en français :

    Kyôt ist ein Provenzâl ;
    .........
    Swaz er en franzoys dâ von gesprach
    .

    (Parzival, pag. 202.)

    Et, en effet, presque tous les mots étrangers dont se sert le poète allemand appartiennent au dialecte du nord. Cette observation importante, et qu’il est facile de vérifier, a été faite d’abord par M. Lachmann, dans sa belle édition du Parceval, préface, pag. 25.