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DU THÉÂTRE EN FRANCE.

créations de la fantaisie, cependant nous sommes forcé de signaler le caractère flétrissant de la plupart des comédies signées par M. Scribe. Si l’auteur se bornait à montrer le triomphe perpétuel de l’intérêt sur la passion, nous pourrions blâmer le choix de ses personnages et reconnaître en même temps la réalité des caractères qu’il leur attribue. Mais il va plus loin. Il célèbre en toute occasion l’intérêt victorieux et la passion humiliée, et jamais il ne trouve une larme de sympathie pour les souffrances du cœur. Il jette une jeune fille dans le lit d’un vieillard ; et sans s’inquiéter de l’amant désespéré, il vante ce mariage monstrueux comme une bonne affaire. Ramenées à leur expression générale, la plupart des comédies de M. Scribe n’ont pas d’autre conclusion que celle-ci : Devenez riches, n’importe comment, et l’estime du monde ne vous manquera pas. Mais si vous êtes assez fous pour vous entêter dans une passion sincère, vous serez la risée des honnêtes gens, c’est-à-dire des gens qui sont nés ou devenus riches. Si j’avais à qualifier ce conseil comme moraliste, je n’hésiterais pas à le proscrire ; au nom de la critique littéraire, je crois pouvoir le traiter avec la même sévérité. Une pareille poétique ne va pas à moins qu’à supprimer tous les élémens élevés de notre nature, c’est-à-dire la meilleure partie de la poésie.

Vainement objecterait-on que la comédie vouée à l’expression du ridicule n’a pas à tenir compte de l’idéal ; l’exemple de Molière parle plus haut que toutes les arguties. Si je ne dis rien du mépris de M. Scribe pour la langue dont il est maintenant défenseur officiel, c’est qu’il est depuis long-temps reconnu parmi les hommes lettrés que M. Scribe est l’homme le moins littéraire du monde.

Le succès de M. Casimir Delavigne s’explique par d’autres causes. Mais à notre avis ces causes, quoique plus voisines de la littérature, ne sont pas précisément littéraires. M. Delavigne n’est pas applaudi pour ce qu’il fait, mais bien pour ce qu’il ne fait pas. Il n’invente pas, car l’invention est un jeu dangereux, et M. Delavigne a trop de prudence pour tenter un jeu qui ne serait pas sûr ; mais il s’abstient des caprices hardis qui n’ont pas obtenu la sanction de la foule ; il s’interdit comme péchés mortels toutes les singularités qui effarouchent le goût général, et de toutes les fautes qu’il a évitées ou qu’il n’a pas osé commettre, il s’est composé une sorte de gloire négative, plus sûre et plus solidement assise que celle de la