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les intérêts, ou plutôt que les intérêts gouvernent seuls la société et prennent en pitié les passions. Il a compris, et la chose était facile, que le droit n’a pas souvent raison contre le fait, que la pauvreté dévouée à l’accomplissement du devoir s’expose aux railleries de la richesse égoïste. Il a réuni dans une commune compassion la crédulité généreuse et la niaiserie impuissante, et, par un entraînement bien naturel, il est arrivé à identifier la sagesse et le succès. Une fois pénétré de ces vérités prétendues dont se compose la morale mondaine, il avait devant lui une route longue et facile. Après avoir pris pour évangile cet axiome incomparable : « Les riches ont raison d’être riches, et les pauvres ont tort d’être pauvres, » il ne pouvait concevoir aucun doute sur le but légitime de la comédie. Évidemment ce but, selon la poétique de M. Scribe, n’est autre que l’éloge perpétuel de la richesse et le ridicule infligé aux hommes qui ne savent pas devenir riches. C’est là, si je ne me trompe, le thème développé par M. Scribe depuis vingt ans. Rue de Chartres, au boulevard Bonne-Nouvelle et rue de Richelieu, c’est toujours et partout, et à tout propos, la glorification de la richesse et le dédain de la pauvreté. En se conformant à cet inflexible évangile, M. Scribe, il est vrai, se condamne à quelque monotonie ; mais il connaît son public, et sait bien que la variété n’est pas une condition indispensable au succès. Loin de là ; il voit dans l’éternelle répétition des mêmes idées un moyen de popularité ; et à ne prendre la popularité que dans le sens le plus grossier, nous sommes forcé de nous ranger à son avis. La foule aime à retrouver de vieilles plaisanteries, et s’applaudit volontiers d’une clairvoyance qui ne la met pas en frais d’attention. Elle aime à se proclamer intelligente et ingénieuse, et salue avec reconnaissance les bons mots qu’elle écoute pour la centième fois. Plus une pensée paraît hors de service, plus elle a de chances pour réussir auprès de la foule. M. Scribe doit à l’intelligence parfaite de cette vérité la meilleure partie de ses succès, et nous devons avouer qu’il a usé largement de la recette. Il a dans son vestiaire dramatique de bons mots qui depuis long-temps montrent la corde, mais qui font encore bonne figure aux lumières, et que le public revoit avec plaisir. Dans la mise en œuvre de ces étoffes amincies il fait preuve d’une industrie infatigable, nous ne voulons pas le nier. Mais quoique nous soyons peu disposé à confondre l’enseignement dogmatique et les