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et soigné par tous avec un respect filial, mais en réalité loin des siens, loin d’un fils.

Il resterait peut-être à varier, à égayer décemment ce portrait, de quelques-unes de ces naïvetés nombreuses et bien connues, qui composent, autour du nom de l’illustre savant, une sorte de légende courante, comme les bons mots malicieux autour du nom de M. de Talleyrand : M. Ampère, avec des différences d’originalité, irait naturellement s’asseoir entre La Condamine et La Fontaine. De peur de demeurer trop incomplet sur ce point, nous ne le risquerons pas. M. Ampère savait mieux les choses de la nature et de l’univers que celles des hommes et de la société. Il manquait essentiellement de calme, et n’avait pas la mesure et la proportion dans les rapports de la vie. Son coup d’œil, si vaste et si pénétrant au-delà, ne savait pas réduire les objets habituels. Son esprit immense était le plus souvent comme une mer agitée ; la première vague soudaine y faisait montagne ; le liége flottant ou le grain de sable y était aisément lancé jusqu’aux cieux.

Malgré le préjugé vulgaire sur les savans, ils ne sont pas toujours ainsi. Chez les esprits de cet ordre et pour les cerveaux de haut génie, la nature a, dans plus d’un cas, combiné et proportionné l’organisation. Quelques-uns, armés au complet, outre la pensée puissante intérieure, ont l’enveloppe extérieure endurcie, l’œil vigilant et impérieux, la parole prompte, qui impose, et toutes les défenses. Qui a vu Dupuytren et Cuvier comprendra ce que je veux rendre. Chez d’autres, une sorte d’ironie douce, calme, insouciante et égoïste, comme chez Lagrange, compose un autre genre de défense. Ici, chez M. Ampère, toute la richesse de la pensée et de l’organisation est laissée, pour ainsi dire, plus à la merci des choses, et le bouillonnement intérieur reste à découvert. Il n’y a ni l’enveloppe sèche qui isole et garantit, ni le reste de l’organisation armée qui applique et fait valoir. C’est le pur savant, au sein duquel on plonge.

Les hommes ont besoin qu’on leur impose. S’ils se sentent pénétrés et jugés par l’esprit supérieur auquel ils ne peuvent refuser une espèce de génie, les voilà maintenus, et volontiers ils lui accordent tout, même ce qu’il n’a pas. Autrement, s’ils s’aperçoivent qu’il hésite et croit dépendre, ils se sentent supérieurs à leur tour à lui par un point commode, et ils prennent vite leur