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posés dans la préface de son Essai sur la Philosophie des Sciences. Ceux qui ont fréquenté l’école des psychologues distingués de notre âge, et qui ont aussi entendu les leçons dans lesquelles M. Ampère, au Collége de France, aborda la psychologie, peuvent seuls dire combien, dans sa description et son dénombrement des divers groupes de faits, l’intelligence humaine leur semblait tout autrement riche et peuplée que dans les distinctions de facultés, justes sans doute, mais nues et un peu stériles, de nos autres maîtres. Dès l’abord, dans la psychologie de ceux-ci, on distingue sensibilité, raison, activité libre, et on suit chacune séparément, toujours occupé, en quelque sorte, de préserver l’une de ces facultés du contact des autres, de peur qu’on ne les croie mêlées en nature et qu’on ne les confonde. M. Ampère y allait plus librement et par une méthode plus vraiment naturelle. Si Bernard de Jussieu, dans ses promenades à travers la campagne, avait dit constamment en coupant la tige des plantes : « Prenons-bien garde, ceci est du tissu cellulaire, ceci est de la fibre ligneuse ; l’un n’est pas l’autre ; ne confondons pas ; le bois n’est pas la sève ; » il aurait fait une anatomie, sans doute utile et qu’il faut faire, mais qui n’est pas tout, et les trois quarts des divers caractères, qui président à la formation de ses groupes naturels, lui auraient échappé dans leur vivant ensemble. — L’anatomie radicale psychologique, ce que M. Ampère appelle l’idéogénie, serait venue, dans sa méthode, plus tard, à fond ; mais elle ne serait venue qu’après le dénombrement et le classement complet ; mais surtout, la préoccupation des facultés distinctes ne scindait pas, dès l’abord, les groupes analogues, et ne les empêchait pas de se multiplier dans leur diversité.

La quantité de remarques neuves et ingénieuses, de points profonds et piquans d’observation, qui remplissaient une leçon de M. Ampère, distrayaient aisément l’auditeur de l’ensemble du plan, que le maître oubliait aussi quelquefois, mais qu’il retrouvait tôt ou tard à travers ces détours. On se sentait bien avec lui en pleine intelligence humaine, en pleine et haute philosophie antérieure au xviiie siècle ; on se serait cru, à cette ampleur de discussion, avec un contemporain des Leibnitz, des Mallebranche, des Arnauld ; il les citait à propos familièrement, même les secondaires et les plus oubliés de ce temps-là, M. de La Chambre, par exem-