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tiennent à tous, comme l’architecture anonyme des cathédrales, qui semble avoir été bâtie sans architecte.

Quoi qu’il en soit, ces poèmes n’ont pas toujours été enfouis comme aujourd’hui dans des manuscrits muets. Nous ne possédons plus que la lettre morte de ces rapsodies qui tenaient beaucoup du caractère de l’improvisation. Elles ont été en partie chantées, et les contemporains n’étaient point frappés comme nous le sommes du dénuement de l’expression, qu’une foule de circonstances servaient à relever. Si l’on veut même se faire une juste idée de l’effet que ces poèmes pouvaient produire, il faut se représenter le concours solennel des fêtes qui les environnaient.

Pendant six mois d’hiver, le château féodal était resté enveloppé de nuages. Point de tournois, point de guerre ; peu d’étrangers et de pèlerins ; de longs jours monotones, de tristes et interminables soirées mal remplies par le jeu d’échec. Enfin, le printemps avait commencé ; la châtelaine avait cueilli la première violette dans le verger. Avec les hirondelles on attendait le retour du troubadour ou du trouvère. Par un beau jour du mois de mai, ce dernier envoyait ses chanteurs et ses jongleurs réciter ses anciens romans aux bourgeois et au menu peuple dans l’intérieur des petites villes. Pour lui, il suivait la rampe escarpée qui menait au château. Sans demeurée, dès le soir de son arrivée, les barons, les écuyers, les demoiselles se réunissaient dans la grand’salle pavée pour entendre le poème qu’il venait d’achever pendant l’hiver. Le trouvère, au milieu de l’assemblée, ne lisait pas ; il récitait. Mais quand son récit s’élevait, il chantait par intervalles, en s’accompagnant de la harpe ou de la viole. Son début était plein de fierté et de naïveté. C’était en même temps un tableau de l’assemblée.


Seigneurs, or, faites paix, chevaliers et barons,
Et rois et ducs, et comtes et princes de renoms,
Et prélats et bourgeois, gens de religions,
Dames et damoiselles, et petits enfançons.


Souvent il avait composé son poème par l’ordre exprès du seigneur qui lui avait prêté la chronique dans laquelle était contenue la tradition de son sujet. Souvent les ancêtres de son hôte y figuraient. D’ailleurs, les lieux voisins, les petites villes, les bourgs,