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l’amour des sciences et de leurs progrès ; mais, notons-le, c’était celui des sciences purement mathématiques, physiques et naturelles. M. Ampère, différent d’eux et plus libéral en ceci, n’omettait jamais, dans son zèle de savant, la pensée morale et civilisatrice, et, en ayant espoir aux résultats, il croyait surtout et toujours à l’ame de la science.

En même temps que, déjà jeune homme, les livres, les idées et les évènemens l’occupaient ainsi, les affections morales ne cessaient pas d’être toutes puissantes sur son cœur. Toute sa vie, il sentit le besoin de l’amitié, d’une communication expansive, active, et de chaque instant : il lui fallait verser sa pensée et en trouver l’écho autour de lui. De ses deux sœurs, il perdit l’aînée, qui avait eu beaucoup d’action sur son enfance ; il parle d’elle avec sensibilité dans des vers composés long-temps après. Ce fut une grande douleur. Mais la calamité de novembre 93 surpassa tout. Son père était juge de paix à Lyon avant le siége, et pendant le siége il avait continué de l’être, tandis que la femme et les enfans étaient restés à la campagne. Après la prise de la ville, on lui fit un crime d’avoir conservé ses fonctions ; on le traduisit au tribunal révolutionnaire et on le guillotina. J’ai sous les yeux la lettre touchante, et vraiment sublime de simplicité, dans laquelle il fait ses derniers adieux à sa femme. Ce serait une pièce de plus à ajouter à toutes celles qui attestent la sensibilité courageuse et l’élévation pure de l’ame humaine en ces extrémités. Je cite quelques passages religieusement, et sans y altérer un mot :


« J’ai reçu, mon cher ange, ton billet consolateur ; il a versé un baume vivifiant sur les plaies morales que fait à mon ame le regret d’être méconnu par mes concitoyens, qui m’interdisent, par la plus cruelle séparation, une patrie que j’ai tant chérie et dont j’ai tant à cœur la prospérité. Je désire que ma mort soit le sceau d’une réconciliation générale entre tous nos frères. Je la pardonne à ceux qui s’en réjouissent, à ceux qui l’ont provoquée, et à ceux qui l’ont ordonnée. J’ai lieu de croire que la vengeance nationale, dont je suis une des plus innocentes victimes, ne s’étendra pas sur le peu de biens qui nous suffisait, grâce à ta sage économie et à notre frugalité, qui fut ta vertu favorite… Après ma confiance en l’Éternel, dans le sein duquel j’espère que ce qui restera de moi sera porté, ma plus douce consolation est que tu chériras ma mémoire autant que tu m’as été chère. Ce retour m’est dû. Si du séjour de l’Éternité, où notre chère fille m’a précédé, il m’était donné de m’occuper des choses