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ILLUSTRATIONS SCIENTIFIQUES.

en vigueur et en originalité ; il apprit tout à son heure et à sa fantaisie, et il n’y prit aucune habitude de discipline.

Fit-il des vers dès ce temps-là, ou n’est-ce qu’un peu plus tard ? Quoi qu’il en soit, les mathématiques, jusqu’en 93, l’occupèrent surtout. À dix-huit ans, il étudiait la Mécanique analytique de Lagrange, dont il avait refait presque tous les calculs ; et il a répété souvent qu’il savait alors autant de mathématiques qu’il en a jamais su.

La révolution de 89, en éclatant, avait retenti jusqu’à l’ame du studieux, mais impétueux jeune homme, et il en avait accepté l’augure avec transport. Il y avait, se plaisait-il à dire quelquefois, trois évènemens qui avaient eu un grand empire, un empire décisif sur sa vie ; l’un était la lecture de l’éloge de Descartes par Thomas, lecture à laquelle il devait son premier sentiment d’enthousiasme pour les sciences physiques et philosophiques. Le second évènement était sa première communion qui détermina en lui le sentiment religieux et catholique, parfois obscurci depuis, mais ineffaçable. Enfin il comptait pour le troisième de ces évènemens décisifs, la prise de la Bastille qui avait développé et exalté d’abord son sentiment libéral. Ce sentiment bien modifié ensuite, et par son premier mariage dans une famille royaliste et dévote, et plus tard par ses retours sincères à la soumission religieuse et ses ménagemens forcés sous la restauration, s’est pourtant maintenu chez lui, on peut l’affirmer, dans son principe et dans son essence. M. Ampère, par sa foi et son espoir constant en la pensée humaine, en la science et en ses conquêtes, est resté vraiment de 89. Si son caractère intimidé se déconcertait et faisait faute, son intelligence gardait son audace. Il eut foi, toujours et de plus en plus, et avec cœur, à la civilisation, à ses bienfaits, à la science infatigable en marche vers les dernières limites, s’il en est[1], des progrès de l’esprit humain. Il disait donc vrai en comptant pour beaucoup chez lui le sentiment libéral que le premier éclat de tonnerre de 89 avait enflammé.

D’illustres savans, que j’ai nommés déjà, et dont on a relevé fréquemment les sécheresses morales, conservèrent aussi jusqu’au bout, et malgré beaucoup d’autres côtés moins libéraux, le goût,

  1. Préface de l’Essai sur la philosophie des sciences.