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du xviiie siècle et au commencement du nôtre, de grands et sublimes exemples ; Lagrange, Laplace, Cuvier, et tant d’autres à des rangs voisins, ont excellé dans cette faculté de trouver les rapports élevés et difficiles des choses cachées, de les poursuivre profondément, de les coordonner, de les rendre. Ils ont à l’envi reculé les bornes du connu et repoussé la limite humaine. Je m’imagine pourtant que nulle part peut-être cette faculté de l’intelligence avide, cet appétit du savoir et de la découverte, et tout ce qu’il entraîne, n’a été plus en saillie, plus à nu et dans un exemple mieux démontrable que chez M. Ampère, qu’il est permis de nommer tout à côté d’eux, tant pour la portée de toutes les idées que pour la grandeur particulière d’un résultat. Chez ces autres hommes éminens que j’ai cités, une volonté froide et supérieure dirigeait la recherche, l’arrêtait à temps, l’appesantissait sur des points médités, et, comme il arrivait trop souvent, la suspendait pour se détourner à des emplois moindres. Chez M. Ampère, l’idée même était maîtresse. Sa brusque invasion, son accroissement irrésistible, le besoin de la saisir, de la presser dans tous ses enchaînemens, de l’approfondir en tous ses points, entraînaient ce cerveau puissant auquel la volonté ne mettait plus aucun frein. Son exemple, c’est le triomphe, le surcroît, si l’on veut, et l’indiscrétion de l’idée savante ; et tout se confisque alors en elle et s’y coordonne ou s’y confond. L’imagination, l’art ingénieux et compliqué, la ruse des moyens, l’ardeur même de cœur, y passent et l’augmentent. Quand une idée possède cet esprit inventeur, il n’entend plus à rien autre chose, et il va au bout dans tous les sens de cette idée comme après une proie, ou plutôt elle va au bout en lui se conduisant elle-même, et c’est lui qui est la proie. Si M. Ampère avait eu plus de cette volonté suivie, de ce caractère régulier, et on peut le dire, plus ou moins ironique, positif et sec, dont étaient munis les hommes que nous avons nommés, il ne nous donnerait pas un tel spectacle, et en lui reconnaissant plus de conduite d’esprit et d’ordonnance, nous ne verrions pas en lui le savant en quête, le chercheur de causes aussi à nu.

Il est résulté aussi de cela qu’à côté de sa pensée si grande et de sa science irrassasiable, il y a, grâce à cette vocation imposée, à cette direction impérieuse qu’il subit et ne se donne pas, il y a tous les instincts primitifs et les passions de cœur conservées, la