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traire, l’avocat est, dans sa tendresse comme dans son indignation, d’une vulgarité désespérante. Son ingénuité, c’est le mot le plus honnête qu’on lui puisse appliquer, son inexpérience absolue, conviendraient peut-être à un algébriste ou à un prétendant à l’Académie des Inscriptions ; mais les attribuer à l’orateur dont tout l’art repose sur la connaissance des ressorts humains, c’est un impardonnable contresens. Je ne comprends pas qu’un homme qui, par état, doit agir sur le public, soit sans intelligence du monde et des choses. L’observation constante de la société, qui est le plus solide aliment de sa pensée, ne lui porterait donc aucun profit ? Il est bon de le répéter ; si l’homme supérieur reste quelquefois dans l’oubli, ce n’est pas qu’il ignore l’intrigue, c’est qu’il la dédaigne. Le caractère d’Edmond est faux et insignifiant dans sa fausseté ; il nuit singulièrement à l’ouvrage. L’effet de l’ensemble serait tout autre, si ce personnage attirait à lui quelque sympathie réelle, au lieu de s’en tenir à cet intérêt de convention que le parterre ne croit pas devoir refuser aux amoureux de comédie.

Parmi les adeptes de la camaraderie, deux figures s’annoncent bien ; le comte de Montlucar, tout gonflé de sa fortune et de sa gentilhommerie ; inutile qui n’a rien à désirer sur la terre que d’y faire un peu de bruit, qui fait sonner l’indépendance de l’homme de lettres, et ne s’avoue pas que la littérature, au service de la vanité et d’un calcul personnel, est la plus dégradante servitude ; et cet excellent Oscar Rigaut, qui fait les frais de cinq ou six réputations, et, pour son propre compte, croit naïvement au succès qu’il achète ! On regrette que, de ces deux types, l’un soit aussitôt abandonné, et l’autre chargé au-delà de toute vraisemblance. C’est encore un reproche à faire à M. Scribe. Son système dramatique repose sur l’infaillibilité d’un certain nombre de combinaisons, et ses personnages n’obtiennent ses soins qu’en raison de leur importance dans ces situations principales. Il traite les rôles inférieurs et les scènes de transition comme un remplissage, et les condamne au caprice plus ou moins heureux du premier jet. Et pourtant, sans second plan, point de perspective, point de vérité. Pour les maîtres, il n’y a point de petits rôles ni de scènes sans portée. Leur volonté créatrice ne néglige pas plus les figures effacées que celles qui sont en saillie, et c’est en promenant l’intérêt du fond aux détails qu’ils soutiennent l’attention sans abuser des coups de théâtre.

Les autres affiliés, sans en excepter le docteur Bernadet, n’existent que dans le monde fantastique où l’auteur prend trop souvent ses modèles. Il est à croire qu’ils ont réussi dans ce monde où, d’ailleurs, les coups de fortune ne sont pas rares, et puisque dans une élection préparatoire pour le choix d’un député chacun se donne sa voix, j’en conclus que ce club de peintres, de romanciers, de musiciens et de libraires, ne compte que