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d’ailleurs à l’occasion d’un débat d’intérêt privé, est moins faite pour nuire que pour relever l’importance de celui qui en est atteint, et à sa place, quelques-uns de ses obscurs confrères du palais sauraient faire prospectus d’une semblable distinction. Mais Edmond est d’une rare candeur : il accepte une diatribe de journal comme l’oracle infaillible de sa destinée. Plus de verve ni d’illusions. Son accablement est tel que, dans un mouvement de tendre pitié, la plus jeune de ses amies, Agathe de Mirmont lui donne à entendre que son père, qui siége à la chambre haute, accepterait volontiers pour gendre un homme politique. Dans la bouche d’une jeune fille, ce conseil vaut un aveu. L’avocat passe du désespoir à des transports immodérés ; en cela, du moins, il obéit à la loi fatale de son caractère, à la faiblesse qui ne peut s’arrêter entre deux excès. Une élection est ouverte à Saint-Denis. Edmond se résout à quêter des suffrages. Mais le métier de solliciteur est rude et chanceux. La première tentative démonte le candidat, et nous aurions à subir une nouvelle crise de découragement, sans la rencontre fortuite d’un vieil ami de collége, Oscar Rigaut.

Oscar aussi est avocat : on est avocat aujourd’hui, comme on était chevalier sous l’ancien régime ; c’est un passeport pour le monde, une noblesse de convention, parfaitement appropriée à la plus bavarde époque qui fut jamais. Oscar ne comprend rien aux doléances d’Edmond. À ses autres amis, tout réussit. Lui-même se sent grandir chaque jour, dans la fréquentation des grands hommes. Le gouvernement, les salons ne lui laissent pas même désirer leurs faveurs. Toutefois, cette prospérité a une double cause qu’Oscar ne soupçonne même pas. Personnellement, il est riche, et préside, en qualité d’actionnaire principal, une société d’avancement mutuel : la courte échelle, à l’aide de laquelle on parvient à tout, est construite et entretenue à ses frais. En outre, il a pour parente Césarine de Mirmont, d’abord sous-maîtresse dans un pensionnat, aujourd’hui femme d’un pair de France, et belle-mère d’Agathe ; intrigante qui, pour se distraire d’un amour dédaigné, trame et défait des réputations, par la voix d’un journal tout-puissant, l’une des meilleures propriétés qu’elle ait acquises par contrat. Avec d’aussi bons points d’appui, l’élévation est sûre et facile. Oscar prend à tâche la fortune du candidat, c’est-à-dire qu’il l’introduit au sein de la camaraderie.

La forte tête du club est le docteur Bernadet. Fourbe, avide, gourmand, hâbleur, Scapin, en sa personne, a pris toutes ses inscriptions et soutenu sa thèse ; il est aujourd’hui médecin des dames, et bientôt professeur par le crédit de Mme de Mirmont, dont il s’est fait l’âme damnée. Les autres personnages ne figurent que pour représenter complètement le