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THÉÂTRE-FRANÇAIS.

qu’on éprouve est rarement celle de l’ame émue ; elle tient plutôt au désir, qui nous est naturel, de savoir, en toutes choses, le comment et le pourquoi. N’importe ; violence est faite, même aux juges dédaigneux. Il faut rire et regarder. Ainsi, le but est atteint pour la portion du public qui ne voit dans le théâtre qu’un lieu de délassement et d’oubli ; l’acclamation de la majorité fait loi, et la critique complaisante proclame un succès. Cependant il faudrait désespérer de l’art dramatique, s’il ne se trouvait encore des intelligences sévères, pour demander compte aux auteurs de leur but et de leurs moyens. C’est cette épreuve de la réflexion et des souvenirs qui est assez défavorable à M. Scribe, pour détruire en grande partie les séductions de la scène.

En pareil cas, le moyen de se maintenir dans le vrai est de corriger l’une par l’autre ces impressions contradictoires, de reproduire dans un récit rapide l’effet de la représentation, et ensuite, de constater, par l’opération analytique, la débile constitution des personnages. Il est juste d’ajouter que la dernière pièce de M. Scribe est une de celles qui supportent le mieux ce double genre d’épreuves.


En sondant les voies où se précipitent aujourd’hui les hommes d’étude et d’intelligence, Edmond de Varennes ne se défend pas d’un sentiment d’effroi. Mais pour guérir les plus amères défaillances de l’esprit, il ne faut qu’un succès, et Edmond vient de l’obtenir. Il ne s’agit pas seulement d’un procès mené à bonne fin ; ce qui prouverait fort peu ; car il en est des luttes du barreau, comme du jeu des batailles, où, entre deux adversaires, la victoire fait nécessairement un héros. C’est la cause du talent qu’il a gagnée auprès du public. En plaidant, il a senti qu’entre son auditoire et lui s’établissaient les rapports sympathiques qui sont la récompense du présent et une garantie pour l’avenir. Les plus fraîches émotions de la joie sont dues à l’amitié. Une double affection, qui a pris naissance dans le parloir d’un pensionnat, conduit Edmond auprès de deux jeunes femmes à qui appartiennent ses pensées et ses espérances, bien qu’entre elles le partage ne puisse être égal : l’une est mariée au comte de Montlucar ; l’autre dépend d’une famille puissante, qui n’a pas encore disposé d’elle. Pour jouir complètement du succès, le petit comité en veut connaître le retentissement. On consulte le journal. La scène de triomphe y est indignement travestie. La plaidoirie, dit-on, s’est perdue dans les murmures de l’assemblée ; l’évidence du bon droit a pu seule racheter auprès des juges les gaucheries de l’avocat. Avec un peu de tact et d’expérience, Edmond sentirait qu’une hostilité évidemment injuste, inouie