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treusement abandonné à l’éloquence de M. de Rosamel et de M. de Gasparin.

Peu de jours suffirent pour montrer à M. Guizot qu’il avait compté sans M. Molé, sans M. Royer-Collard, ce vieux roi de la doctrine, égorgé par l’ambition de M. Guizot, et qui apparaît à son ancien sujet comme le spectre de Banquo, chaque fois que M. Guizot vient prendre place à un banquet ministériel. Que d’efforts il a fallu à M. Guizot depuis la formation de ce ministère pour échapper à la dent de son vieux père Saturne, qui veut le dévorer, et dont il peut montrer quelques morsures !

Le combat se livrait, à la manière de l’Odyssée, sur le cadavre de M. de Gasparin, déjà mort, quoiqu’il se promène tout embaumé dans cette vallée de misère qu’on nomme le ministère de l’intérieur. Il s’agissait de cette affaire Conseil qui a fait dans le cabinet, et hors du cabinet, plus de ravages qu’on ne pense. M. Guizot, qui a laissé M. Molé et M. de Gasparin s’en tirer comme ils pouvaient à la chambre, avait eu la pensée de se charger, dans les bureaux, des explications que demandait la commission de la chambre des députés. M. Molé accepta d’abord avec reconnaissance la proposition de son collègue, mais la réflexion entra dans son cabinet avec M. Royer-Collard qui survint, et lui demanda s’il n’était pas président du conseil, et surtout ministre des affaires étrangères ? À ce titre, non-seulement il ne devait pas endurer que M. Guizot se présentât devant la commission pour expliquer l’affaire Conseil, mais il ne devait pas permettre que le ministre de l’intérieur l’accompagnât en cette circonstance. Il fallait aller seul, s’expliquer seul, et ne pas perdre une si belle occasion de montrer à la chambre que le président du conseil n’était ni le protégé ni le pupille de M. Guizot.

M. Royer-Collard, ce grand rieur sérieux, qui depuis six ans gouverne la chambre par son silence goguenard, et en fermant dédaigneusement sa main pleine de vérités qu’il ne laisse échapper que le soir, dans le cénacle respectueux de ses deux ou trois derniers fidèles, ne cessa dès ce moment de pousser M. Molé hors du cercle que croyait lui avoir tracé M. Guizot, et de le lancer à la tribune en lui persuadant que, loin de se laisser entraîner aujourd’hui par des discours éloquens et par des paroles fleuries, la cham-