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venir. » On sent que les vieilles et émouvantes sympathies du temps de Caton d’Utique reparaissent là, malgré la sévérité de l’historien impartial. Ce n’est pas (à Dieu ne plaise !) que nous voulions nous constituer le défenseur du régime féodal, et insérer comme nôtres quelques-unes des pages de M. de Boulainvilliers. Seulement, tous ceux qui ont lu les leçons consacrées à l’examen du système féodal, dans l’Histoire de la civilisation en France, comprendront le côté, sinon louable, au moins fort pardonnable, négligé par M. Raynouard dans son appréciation. Les reproches qu’il fait à la chevalerie, bien qu’outrés, nous paraissent plus justes et mieux fondés ; car cette époque a fourni la singulière et inexplicable coexistence de la barbarie dans les actions et de la pureté dans les idées. Il faut cependant qu’il y ait eu au fond un peu de cette noble bravoure, de ce dévouement poétique ridiculisé depuis avec tant de génie par Cervantès ; et ce n’est pas à tort que les romans de chevalerie ont pu célébrer d’autres héros que Gui Truxel, Thomas de Marle et Hugues du Puiset. M. Raynouard, qui avait été si indulgent aux Templiers, et qui, par la nature de son esprit franc et droit, était assez porté aux réhabilitations historiques, eût pu traiter avec un peu plus de bienveillance ces héros détrousseurs, ces brigands titrés, comme il les appelle. M. Daunou[1] a aussi reproché à M. Raynouard d’avoir trop insisté sur les élections religieuses, qui, à notre sens, provenaient autant de l’esprit primitif du christianisme lui-même, que de l’influence des municipes romains.

Sauf quelques pages éloquentes à propos de l’établissement du christianisme dans les Gaules, sauf le dernier chapitre, écrit avec une certaine énergie et beaucoup de vivacité et de mouvement, le style, d’ailleurs pur et parfaitement clair, de l’Histoire du droit municipal est à tout moment coupé par des alinéas dont l’isolement et la brièveté mettent un certain arrêt dans la pensée, qui nuit à l’enchaînement des idées et force le lecteur à des efforts fatigans et à chaque instant renouvelés. On dirait un chemin rompu sans cesse, à angle droit, et qui perdrait par là ses marges doucement sinueuses et arrondies. Nous concevons facilement ce défaut chez M. Raynouard, dont l’organisme vif et bouillant ne le laissa jamais cinq minutes assis, et lui conserva jusqu’à la fin cette ardeur, que n’avaient pu éteindre un travail assidu et une nature concentrée et noblement voilée en ses profondes sensations.

Le but politique de M. Raynouard dans l’Histoire du droit municipal était le rétablissement des priviléges communaux détruits par Louis XIV. L’indépendance de l’administration locale et le choix libre des magistrats destinés à surveiller les intérêts particuliers lui semblaient une des régéné-

  1. Journal des Savans, juin 1829.