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RAYNOUARD.

celle de leur propre cœur, qu’on peut acquérir sur la scène une récompense plus douce, plus honorable que celle qu’ils espèrent usurper aujourd’hui[1]. » Nous doutons qu’on admire beaucoup l’idée si simple et si grandiose que M. Raynouard avait du génie dramatique ; mais si l’art, par les dispositions nouvelles, a gagné quelque chose en mouvement et en variété (et nous ne voulons nullement agiter ici cette question), on avouera au moins que le cœur du poète a dû y perdre en élévation et surtout en noble réserve. Peut-être serait-ce ici le lieu, avant d’entrer dans la carrière scientifique de M. Raynouard, d’en venir à une conclusion critique sur la valeur littéraire de son théâtre. En laissant dans l’ombre cette tragédie des États de Blois, contre laquelle Napoléon avait au moins autant de mauvaise humeur littéraire que de rancune politique, et en nous en tenant à ce succès éclatant et déjà si éloigné des Templiers, nous sommes forcé de dire, malgré notre vive sympathie, que l’appareil oratoire de cette politique générale et abstraite, le style quelquefois heurté par une langue rebelle à l’harmonie, ces maximes sonores et fréquentes qui semblent des échos grondans de Lucain et de Stace, et surtout la nature sacrifiée à l’idole stoïque et immuable du devoir, ne nous ont point échappé. Nous savons aussi bien que personne que le succès de M. Raynouard date de 1805 et que l’éclat de ses travaux sérieux a un peu rejeté en arrière, aux yeux de la génération actuelle, sa gloire poétique et théâtrale ; mais, même en usant ici de la sévérité que la critique contemporaine montre envers le passé et aussi envers le présent, il serait injuste de ne point reconnaître que M. Raynouard, par le choix d’un sujet national et par l’énergie de l’action et du style, s’est entièrement séparé, ainsi que M. Lemercier, de l’école littéraire de l’empire. On nous permettra de ne pas insister sur ce point. Le ton général de cette étude montre assez notre intention, et il nous a semblé qu’en nous effaçant cette fois derrière le récit et en nous abstenant, à notre détriment sans doute, d’une manière plus dégagée et d’un procédé plus moderne, notre admiration et aussi notre affection seraient mieux à l’abri, et ne contrasteraient pas ainsi avec l’allure nécessairement moins indulgente de la critique.

Le dégoût que lui inspirèrent naturellement les combinaisons effrénées de la scène, éloignèrent M. Raynouard du théâtre. Les Templiers devaient être la dernière tragédie classique vraiment populaire. L’au-

  1. Journal des Savans, mars 1834. — Voici une phrase que certaines personnes seront peut-être bien aises de retrouver ici : « Il n’appartient pas à tous les auteurs de donner le signal des guerres civiles littéraires. Quel qu’en soit le résultat, il est rare qu’elles aient lieu à l’occasion d’ouvrages qui n’ont pas un mérite réel. » (Journal des Savans, juillet 1817, pag. 452.)