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la commission était assez française pour ne pas vouloir pousser, par une parole hostile, au fatal revirement des destinées du pays. Elle se trompait sans doute ; mais ce qu’elle crut salutaire, elle l’osa dire. Laine, Gallois, Maine de Biran le grand métaphysicien, ont tous disparu de la scène du monde ; M. Flaugergues et M. Raynouard viennent de mourir, et tous avaient survécu au grand homme, dont la puissante colère s’était soulevée à leurs paroles. Il ne reste donc plus d’eux qu’un souvenir, et à côté de ces cendres déjà refroidies, l’histoire peut dire que si les nobles membres du corps législatif se sont trompés, ils l’ont fait au moins avec une profonde conviction.

Quoi qu’il en soit, les Mémoires que laisse M. Raynouard, et qui seront prochainement publiés, sont destinés à mettre tout-à-fait en lumière la conduite, jusqu’ici mal appréciée, du corps législatif de 1813. Mais, pour ne parler que de ce qui est purement personnel à M. Raynouard, il paraît juste de remarquer que ce qu’il avait demandé à l’empire près de mourir, il vint le réclamer hardiment auprès de la restauration naissante. Nommé, en 1814, rapporteur de la commission sur le projet de loi relatif à la liberté de la presse, M. Raynouard, qui avait été choisi comme député pas les électeurs du Var, fit entendre à la tribune des paroles pleines de force, de modération et de logique[1]. Après s’être élevé contre la censure, il montra comment la loi qui prévient ne réprime pas, n’ayant rien à punir, puisqu’elle empêche le délit de naître. Une adroite apostrophe à Malesherbes, et beaucoup de sagesse sans déclamation, firent remarquer ce rapport, auquel M. de Montesquiou essaya de répondre à la tribune, en disant qu’il ne fallait pas s’intéresser à la seule nation des auteurs et aux vaines abstractions des philosophes. Deux autres discours, l’un sur les droits-réunis, l’autre sur l’extension à donner à la naturalisation, placèrent M. Raynouard au rang des légistes distingués de la chambre. Les cent-jours arrivèrent, et le collége électoral de Draguignan se hâta de conserver son député à la nouvelle chambre des représentans. Alors eût pu se vérifier pour l’auteur des Templiers cette parole d’un de ses spirituels successeurs au secrétariat de l’Académie française : « La littérature mène à tout, à condition de la quitter. » Mais M. Raynouard allait faire le contraire, et laisser à jamais la politique pour les travaux littéraires. Carnot, ministre de l’intérieur, lui offrit en vain de devenir son collègue à la justice ; M. Raynouard ne voulut rien accepter, sauf un siége au conseil de l’instruction publique. Il prit cette place parce qu’elle convenait à ses goûts et qu’il se croyait avec raison capable de la bien remplir. À la seconde restauration, Louis XVIII, par une mesure qui étonne

  1. Moniteur des 3 et 12 juillet 1814.