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RAYNOUARD.

nouard de n’avoir jamais été sensible aux épigrammes et aux satires. Il faut lui en savoir d’autant plus de gré qu’il eût été fort apte à ce genre de poésie mordante et incisive, et qu’il eût répondu à Geoffroy, par exemple, avec autant d’esprit au moins que Luce de Lancival. On sait aussi qu’il excellait dans la repartie vive et subite, et nous tenons de bonne source qu’il s’est plus d’une fois exercé dans la poésie de trait dégagé et même leste. C’est là une de ces échappées, de ces replis de caractère, qu’on n’eût guère devinés chez M. Raynouard, mais qu’il semblait tenir des vieux temps.

Il y a quelques lignes que nous eussions mieux aimé ne pas voir dans son discours de réception. Ce sont, à vrai dire, des éloges de convenance ; mais la conduite ferme qu’il montra plus tard dans la route politique, vint démentir ces vaines formules de politesse louangeuse. On assure pourtant que l’empereur fut sourdement blessé de cette phrase : « Dans les temps qui suivirent le règne d’Auguste, les poètes n’avaient plus eu la liberté de traiter des sujets nationaux. Émilius Scaurus, dans la tragédie d’Atrée, avait imité quelques vers d’Euripide, qui fournirent le prétexte d’une dénonciation. Scaurus reçut l’ordre de mourir et s’y soumit avec courage. Tibère régnait. » — C’était l’année même, je crois, du fameux article du MercureM. de Châteaubriand disait : « …… Tacite est déjà né dans l’empire ! »

Cependant, sur la présentation du département du Var, M. Raynouard avait été nommé par le sénat membre du corps législatif. Quand il eut été élu l’un des cinq candidats pour la présidence, Napoléon se le fit présenter par un de ses ministres, sous prétexte, dit M. Roger, de lui parler de son théâtre, mais dans l’unique but de le toiser et de s’assurer s’il convenait à ses vues. La conversation roula d’abord sur les Templiers, qui avaient été représentés un certain nombre de fois, soit à Saint-Cloud, soit aux Tuileries. On blâma surtout M. Raynouard d’avoir voulu intéresser à une corporation trop célèbre par ses richesses et son luxe. « Vos Templiers, lui dit le prince, cela mangeait le diable, au lieu que moi, empereur, qu’est-ce que je coûte au peuple ? qu’est-ce qu’il me faut par jour ? un verre d’eau et de sucre. » On trouve dans un article de M. Raynouard, au Journal des Savans[1], le fragment suivant qui semble contenir la suite de cette conversation avec Bonaparte : « Cet homme qui, voyant si haut et si loin, voulait tout ramener à lui-même, l’empereur Napoléon me disait : « Dans votre tragédie des Templiers, vous auriez dû représenter ces oligarques menaçant le trône et l’état, et Philippe-le-Bel arrêtant leurs complots et sauvant le royaume. — Sire, répondis-je, je n’aurais pas eu pour moi la

  1. Mars 1834, pag. 132.