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y fit bientôt recevoir Éléonore de Bavière (restée inédite) et les Templiers. L’idée de donner à la France ce que Madrid et l’Allemagne possédaient depuis long-temps, ce qui avait retenti de longue date sur la scène de Covent-Garden et de Drury-Lane, la tragédie nationale, préoccupait surtout M. Raynouard. Cependant la police ombrageuse du consulat, qui allait devenir la police plus ombrageuse encore de l’empire, apporta tant d’entraves à la mise en scène des Templiers, qu’ils ne furent joués qu’en 1805. Le succès passa toutes les espérances, et la pièce eut trente-cinq représentations continues, ce qui était quelque chose à une époque où les théâtres ne subventionnaient pas encore une armée de claqueurs. Le feuilleton du Publiciste, rédigé alors, avec tant de supériorité, par Mlle de Meulan, commençait le lendemain par ce cri de noble joie : « Enfin le charme est rompu ! Après six ans de revers multipliés, la muse tragique vient de remporter un grand et beau triomphe. » Des éloges et des critiques de toute sorte furent prodigués à l’auteur. Geoffroy écrivit successivement trois feuilletons qui sont trop curieux en histoire littéraire, et qui firent trop de bruit à l’époque de leur publication, pour qu’il n’en soit pas question dans cet essai sur M. Raynouard. On y lit entre autres choses :

« Les premiers actes des Templiers ne se soutiennent que par des sentences communes pour le fond, martelées pour la forme, par des vers à prétention, dont la facture est d’une mauvaise école… L’héroïsme monacal de Marigny est forcé et romanesque ; le personnage, d’ailleurs, est absolument inutile et extravagant… La reine n’est qu’un remplissage ; Molay, un héros factice et boursouflé, arrogant et sec ; le chancelier froid et plat… La manière de l’auteur est pénible, tendue… Cet ouvrage tant applaudi, tant prôné au théâtre, n’est, à la lecture, quoi qu’en dise le libraire, qui en a vendu six mille exemplaires, qu’une tragédie fort médiocre avec quelques belles scènes, quelques tirades ; mais dans son ensemble inférieure à la plupart des productions de De Belloy et autres poètes, qui ne sont que du troisième ou quatrième ordre[1]. »

Faut-il conclure de ce jugement aigre et morose, où tous les coups sont lancés avec tant d’amertume, mais aussi avec tant d’adresse, et quelquefois (il faut l’avouer) au défaut même de l’armure, faut-il en conclure, comme on le fait trop souvent de notre temps, que c’est l’éternelle tactique de la critique contre le génie, et que l’habitude de juger et de contredire finit par vicier le sens admiratif, le tact littéraire chez l’écrivain qui se consacre à ces sortes d’examens ? Nullement. La critique, on peut le dire, a aussi son inspiration, et elle fait même plus que la psychologie ne fait en philosophie ; elle ne se con-

  1. Cours de littér. dramat., deuxième édition, tom. iv, pag. 333 et suiv.