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dans ses longs anneaux, entoure la terre, comme, dans l’Inde, le serpent Secha entoure le mont Mérou ; Hela, la mort qui règne dans le ténébreux empire ; et le loup Fenris. Les dieux pressentirent qu’un jour ce loup les attaquerait, et ils résolurent de l’enchaîner. Deux fois ils lui jetèrent autour du cou un cercle de fer, et deux fois le loup le rompit. Alors ils firent fabriquer par les nains un lien magique, souple et léger, et, en apparence, facile à briser. Ils engagèrent Fenris à l’essayer ; mais le loup leur dit : « Je me défie de vos supercheries, et je n’essaierai pas ce lien, si, pour garantie de votre bonne foi, l’un de vous ne me met la main dans la gueule. » Tyr se dévoua ; il y perdit la main, mais le loup fut enchaîné. Les dieux attachèrent le bout de la corde à un large bloc de pierre ; et pour empêcher Fenris de le déchirer sous ses dents, ils le bâillonnèrent avec une épée dont la pointe lui perce le palais. Depuis ce jour, le monstre pousse sans cesse d’effroyables hurlemens, et les flots d’écume qu’il lance dans sa fureur forment un torrent.

Quand les dieux eurent ainsi dompté un de leurs ennemis les plus redoutables, ils résolurent de punir les crimes de Loki. Mais il s’était déjà dérobé à leur colère. Ils le poursuivirent long-temps sans pouvoir l’atteindre, car il s’était bâti une maison ouverte de tous les côtés, d’où il pouvait voir venir ses adversaires, et il leur échappait toujours par une nouvelle métamorphose. Un jour il se transfora en saumon, et se jeta dans une rivière. Les dieux le pêchèrent avec un filet, et Thor le saisit par la queue au moment où il allait encore s’enfuir. Ils l’enchaînèrent avec les boyaux d’un de ses fils entre trois rocs aigus qui l’empêchent de se mouvoir ; sur sa tête ils posèrent un serpent qui lui jette sans cesse son venin au visage. Mais Signie, son épouse fidèle, le suivit dans son infortune. Elle est assise auprès de lui, et reçoit dans un grand vase tout le poison vomi par la vipère. Quand le vase est plein, quand il faut le vider, le venin tombe sur le corps de Loki et lui cause de telles douleurs, qu’il s’agite avec une sorte de frénésie, et ébranle le sol dans ses convulsions. C’est de là que viennent les tremblemens de terre.

Mais le règne des dieux est limité, et les génies du mal doivent un jour rompre leurs chaînes et bouleverser le monde. Ce jour s’annonce par des signes effrayans : trois longs hivers se succèdent sans interruption ; pas une lueur consolante n’apparaît au ciel, pas une fleur de printemps n’éclot dans la vallée, pas un brin d’herbe ne reverdit sur la colline. La famine et la peste ravagent le monde ; la haine divise les familles ; les frères s’entretuent ; il n’y a plus de liens d’affection, plus de foyer domestique, plus de vertus, plus d’amour. Le crime gagne tous les cœurs comme un ulcère, et ceux qui sont restés justes se réjouissent de s’endormir dans leur tombeau. Tout à coup la terre tremble sur sa base ; les