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LETTRES SUR L’ISLANDE.

festaient pour certains arbres. Les Grecs plaçaient des nymphes célestes au sein d’un hêtre, et demandaient des oracles aux chênes de Dodone. Les druides cueillaient le gui avec une serpe d’or ; les vieux Germains avaient des forêts sacrées ; c’est là qu’ils adoraient leurs idoles ; c’est là qu’un jour le Christ passant environné des rayons de sa gloire, tous les arbres s’inclinèrent devant lui pour rendre hommage à sa divinité. Le peuplier seul, dans son superbe orgueil, resta debout la tête haute, et le Christ lui dit : « Puisque tu n’as pas voulu te courber devant moi, tu te courberas à tout jamais au vent du matin, à la brise du soir. » Depuis ce temps, le peuplier frémit sans cesse, et tremble au moindre souffle. Les Norwégiens croyaient qu’une armée avait été changée en arbres, et que la nuit leurs soldats, enlacés par une rude écorce, reprenaient la forme humaine, et se promenaient le casque en tête au clair de la lune. Que de merveilles se sont passées au moyen-âge dans l’enceinte mystérieuse des bois ! Combien de fois les fées n’ont-elles pas attendu, au pied des verts taillis, les chevaliers qu’elles voulaient conduire dans leur palais ! combien de fois la poésie, interprète de cette idée populaire, n’a-t-elle pas célébré la magie secrète des forêts ! Il vous souvient de la romance du Saule, qui faisait pleurer Desdemona, et du Roi des Aulnes, chanté par Goëthe.

Les dieux avaient commencé leur œuvre par établir, avec les sourcils d’Ymer, une palissade contre les géans. Ils se bâtirent au centre du monde un château, une forteresse. Ces dieux de la Scandinavie, comme ceux de la Grèce, représentent, sur une échelle plus élevée, tous les actes, toutes les vicissitudes, toutes les passions de la vie humaine. Les hommes se battent entre eux, les dieux se battent contre les géans ; les hommes se font des armures de fer, et les dieux établissent dans leur demeure de vastes ateliers, et se forgent des casques d’or et des boucliers éblouissans ; les hommes tiennent des assemblées judiciaires, et les dieux se réunissent aussi, à certains jours, pour juger les évènemens de la terre et la grande cause des peuples.

Le grand conseil des dieux se rassemblait sous le frêne Ygdrasil, image du temps. Ce frêne est le plus beau, le plus grand arbre qui existe. Ses pieds descendent dans les entrailles de la terre ; ses rameaux couvrent le monde entier ; sa tête s’élève jusqu’au ciel. Trois racines immenses le soutiennent : la première touche aux enfers, la seconde au pays des géans, la troisième à la demeure des dieux. Dans le pays des géans est la source de la sagesse, qui appartient à Mimer. Un jour Odin voulut aller y boire, et n’obtint la permission qu’il demandait qu’en sacrifiant un de ses yeux. N’est-ce pas une image touchante des souffrances qu’il faut subir pour acquérir la science ? Près de la demeure des dieux est la source du temps passé. C’est là que le conseil céleste se réunit ; c’est là qu’il prononce ses