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LETTRES SUR L’ISLANDE.

n’y mange que du sanglier, on n’y boit que du lait et de la bière, et les dieux qui l’habitent sont les plus malheureux dieux que je connaisse. Les géans leur résistent, le loup Fenris les effraie. Pour échapper aux piéges qu’on leur tend, ils ont recours à leur ennemi mortel, Loki. Pour pouvoir boire à la coupe poétique, Odin est obligé de se changer en serpent. Pour puiser à la source de la sagesse, il faut qu’il se prive d’un œil, et dans les jours de grande crise, il descend de son trône, lui le maître de la nature, lui le dieu suprême, et consulte la tête de Mimer. Tous ces dieux vieillissent et meurent. S’ils n’avaient les pommes d’Iduna qui leur servent d’eau de Jouvence, on verrait leur front se couvrir de rides, et leurs têtes devenir chauves. Mais un jour, ni les pommes d’Iduna, ni leurs flèches, ni leurs massues ne pourront les sauver. Le monde s’abîmera sous eux, et ils périront avec le génie du mal, contre lequel ils luttent sans cesse.

La religion des Indiens est une religion sacerdotale toute pleine de combinaisons philosophiques, de systèmes ingénieux ; celle des Scandinaves, au contraire, a été faite pour un peuple de soldats ; elle est austère et sans art, énergique et farouche. Son dogme ressemble à un code martial. Ses hymnes sont des cris de guerre. Ses jours de fêtes sont des batailles. Dans ses temples ruisselle le sang des victimes, et le bonheur qu’elle promet à ses héros, c’est l’éternel combat du Valhalla. Les mythes indiens se sont développés comme des rameaux de fleurs sous un ciel d’azur, sur une terre riante. Les mythes Scandinaves sont restés sombres comme les nuages qui flottent au-dessus de la mer Baltique, tristes comme le vent qui gémit dans les montagnes de Norwége ou dans les plaines désertes de l’Islande. Cependant, à travers ce tissu grossier des traditions primitives, on découvre parfois des emblèmes ingénieux, et il est assez intéressant de rechercher les rapports qui existent entre cette doctrine religieuse du Nord, et celle des régions plus heureuses d’où on la fait provenir.

La cosmogonie scandinave débute comme la cosmogonie de tous les anciens peuples. Au commencement il n’y avait rien, que la nuit et le chaos ; mais l’être souverain, le créateur, l’Allfader, existait. Celui-là a été de tout temps, et subsistera dans l’éternité. Il était seul dans son vide immense. Il produisit la terre de Ginungapap toute couverte de glace et la terre ardente de Muspelheim, gardée par Surtur, qui viendra un jour avec une épée flamboyante combattre les dieux et embraser le monde. La chaleur vitale de Muspelheim pénètre et amollit les glaces du Nord. De ce mélange d’humidité et de chaleur, de ce principe de fécondité que l’Inde et l’Égypte adoraient, naquit le géant Ymer. Les mêmes élémens produisirent la vache Audumbla. De ses flancs découlaient quatre torrens de lait qui servirent à nourrir Ymer. Une nuit le géant enfanta par son bras gauche un homme et une femme, par ses pieds un fils. De là