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REVUE DES DEUX MONDES.

De là tant de dédains, d’outrages, de courroux,
De là ce châtiment et cette longue injure
Contre laquelle en vain ta grande ombre murmure,
Cette haine vivace et qui sur un tombeau
Semble toujours tenir allumé son flambeau ;
Comme si dans ce monde, imparfaits que nous sommes,
Les hommes sans pitié devaient juger les hommes.
Et comme si, grand Dieu ! le malheur éprouvé
N’était pas le flot saint par qui tout est lavé.

Ô chantre harmonieux des douleurs de notre âge,
Sombre amant de l’abîme au cantique sauvage,
Cygne plein d’amertume et dont la passion
D’une brûlante main pétrit le pur limon,
Laisse rougir le front de la patrie ingrate ;
Tandis que ton beau nom avec le sien éclate
Sur tous les points du globe en signes merveilleux,
Laisse-la négliger tes mânes glorieux,
Laisse-la, te couvrant d’un oubli sans exemple,
Faire attendre à tes os les honneurs de son temple.

C’est l’éternel destin ! c’est le sort mérité
Par tous les cœurs aimant trop fort la vérité !
Oui, malheur en tout temps et sous toutes les formes
Aux Apollons fougueux qui, sur les reins énormes
Et le crâne rampant du vice abâtardi,
Poseront comme toi leur pied ferme et hardi ;
Malheur ! car ils verront le monstrueux reptile,
Gonflant de noirs venins sa poitrine subtile,
Bondir sous leurs talons, et dans ses larges nœuds
Écraser tôt ou tard leurs membres lumineux.

Et la société, témoin de l’agonie,
Loin de tendre la main aux enfans du génie.
De les débarrasser des replis du vainqueur,
Toujours se bouchera l’oreille à leur clameur :
Trop heureux si la vieille aux longs voiles rigides
Abandonne les corps aux dents des vers avides,