Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/284

Cette page a été validée par deux contributeurs.
280
REVUE DES DEUX MONDES.

Les cent spectres de la folie,
Maître, j’irai jusqu’au trépas ;
Et si mon corps ne suffit pas,
J’ai femme, enfans que je fais vivre,
Ils sont à toi, je te les livre.


LES ENFANS.


Ma mère, que de maux dans ces lieux nous souffrons !
L’air de nos ateliers nous ronge les poumons,
Et nous mourons, les yeux tournés vers les campagnes.
Ah ! que ne sommes-nous habitans des montagnes,
Ou pauvres laboureurs dans le fond d’un vallon ;
Alors traçant en paix un fertile sillon,
Ou paissant des troupeaux aux penchans des collines,
L’air embaumé des fleurs serait notre aliment
Et le divin soleil notre chaud vêtement.
Et s’il faut travailler sur terre, nos poitrines
Ne se briseraient pas sur de froides machines,
Et la nuit nous laissant respirer ses pavots,
Nous dormirions enfin comme les animaux.


LA FEMME.


Pleurez, criez, enfans dont la misère
De si bonne heure a ployé les genoux,
Plaignez-vous bien : les animaux sur terre
Les plus soumis à l’humaine colère
Sont quelquefois moins malheureux que nous.
La vache pleine et dont le terme arrive
Reste à l’étable, et sans labeur nouveau,
Paisiblement sur une couche oisive
Va déposer son pénible fardeau ;
Et moi, malgré le poids de mes mamelles,
Mes flancs durcis, mes douleurs maternelles,
Je ne dois pas m’arrêter un instant :