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LE MINOTAURE.

Allons, enfans, marchons la nuit comme le jour.
À toute heure, à tout prix, il faut faire l’amour ;
Il faut, à tout passant que notre vue enflamme,
Vendre pour dix schellings nos lèvres et notre ame.

On prétend qu’autrefois, en un pays fort beau,
Un monstre mugissant, au poitrail de taureau,
Tous les ans dévorait en ses sombres caresses
Cinquante beaux enfans, vierges aux longues tresses :
C’était beaucoup, grand Dieu ! mais notre monstre à nous,
Et notre dévorant aux épais cheveux roux,
Notre taureau, c’est Londre en débauche nocturne.
Portant sur les trottoirs son amour taciturne,
Le vieux Londre a besoin d’immoler tous les ans
À ses amours honteux plus de cinquante enfans ;
Pour son vaste appétit il ravage la ville,
Il dépeuple les champs, et par soixante mille, —
Soixante mille au moins vont tomber sous ses coups
Les plus beaux corps du monde et les cœurs les plus doux.

Hélas ! d’autres sont nés sur la plume et la soie,
D’autres ont hérité des trésors de la joie,
Partant de la vertu. — Pour moi, la pauvreté
M’a reçue en ses bras, sitôt que j’eus quitté
Le déplorable flanc de ma féconde mère.