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REVUE DES DEUX MONDES.

Que tu ne l’es : — car pour toi tout se damne,
L’enfance rose et se sèche et se fane ;
Les frais vieillards souillent leurs cheveux blancs,
Les matelots désertent les haubans,
Et par le froid, le brouillard et la bise,
La femme vend jusques à sa chemise.

Du gin, du gin ! — à plein verre, garçon !
Dans ses flots d’or, cette rude boisson
Roule le ciel et l’oubli de soi-même ;
C’est le soleil, la volupté suprême,
Le paradis emporté d’un seul coup ;
C’est le néant pour le malheureux fou.
Fi du porto, du sherry, du madère,
De tous les vins qu’à la vieille Angleterre
L’Europe fait avaler à grands frais,
Ils sont trop chers pour nos obscurs palais.
Et puis le vin près du gin est bien fade ;
Le vin n’est bon qu’à chauffer un malade,
Un corps débile, un timide cerveau ;
Auprès du gin le vin n’est que de l’eau :
À d’autres donc les bruyantes batailles
Et le tumulte à l’entour des futailles,
Les sauts joyeux, les rires étouffans,
Les cris d’amour et tous les jeux d’enfans !
Nous, pour le gin, ah ! nous avons des ames
Sans feu d’amour et sans désirs de femmes.
Pour le saisir et lutter avec lui,
Il faut un corps que le mal ait durci.
Vive le gin ! au fond de la taverne,
Sombre hôtelière, à l’œil hagard et terne,
Démence, viens nous décrocher les pots,
Et toi, la Mort, verse-nous à grands flots.

Hélas ! la Mort est bientôt à l’ouvrage,
Et pour répondre à la clameur sauvage,
Son maigre bras frappe comme un taureau
Le peuple anglais au sortir du caveau.