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REVUE DES DEUX MONDES.

Comme sillons de feu, traversent son délire.
Mais le pire du mal en ce vagissement,
Le comble de l’horreur n’est pas le grincement
Du délire chantant sa conquête sublime
Par le rude gosier de sa triste victime,
C’est la mort toujours là, la mort toujours auprès,
Frappant l’être à demi sans l’achever jamais.

Et telles sont pourtant nos colonnes d’Hercule,
Les piliers devant qui tout s’arrête ou recule,
Les blocs inébranlés où les générations,
L’une après l’autre, vont fendre et briser leurs fronts ;
Le dilemme fatal aux plus sages des hommes,
Le rendez-vous commun de tous tant que nous sommes,
Où l’un vient pour avoir trop vécu hors de soi,
Et n’être en son logis resté tranquille et coi,
L’autre, parce qu’il a regardé sans mesure
Dans l’abîme sans fond de sa propre nature ;
Celui-ci par le mal, celui-là par vertu ;
Tous, hélas ! quel que soit le mobile inconnu,
Par l’éternel défaut de notre pauvre espèce,
La misère commune et l’humaine faiblesse ;
Et, de ce large cercle où tout semble aboutir,
Où les deux pieds entrés, l’on ne peut plus sortir ;
Où, gueux, roi, noble et prêtre, enfin la tourbe humaine
Tourne au souffle du sort comme une paille vaine ;
La porte la plus grande et le plus vaste seuil
Par où passe le plus de monde, c’est l’orgueil,
L’orgueil, l’orgueil impur, est la voie insensée
Qui, de nos jours, conduit presque toute pensée
À l’inepte folie ou l’aveugle fureur…
Ô Bedlam ! monument de crainte et de douleur !
D’autres pénétreront plus avant dans ta masse ;
Quant à moi, je ne puis que détourner la face,
Et dire que ton temple, aux antres étouffans,
Est digne, pour ses dieux, d’avoir de tels enfans,
Et que le ciel brumeux de la sombre Angleterre
Peut servir largement de dôme au sanctuaire.